Analyses et positions : Le Collectif « associations en danger »
Argumentaire de référence
L’engagement associatif prend souvent racine dans la conscience de besoins sociétaux non-couverts et la volonté de promouvoir d’autres manières de penser, d’agir, de vivre ensemble… afin de changer les pratiques sociales, tout en participant à la construction d’une société plus juste.
Les besoins que les associations couvrent en matière d’éducation, d’insertion sociale et professionnelle, de logement, de culture, de santé, d’accès aux droits ou de lutte contre les discriminations sont autant de leviers sur lesquels s’appuie le développement économique et social de nos sociétés. C’est pourquoi les associations constituent un maillon essentiel de la cohésion sociale et de la démocratie.
Pourtant, si les pouvoirs publics feignent de le reconnaître à la faveur de telle ou telle opération de communication, la politique de soutien à la vie associative ne repose pas sur une vision stratégique à long terme, et se mesure aujourd’hui à l’aune de la maîtrise des dépenses publiques et des tentatives récurrentes de contrôle du secteur associatif.
La RGPP : une réforme destructrice du service public et du tissu associatif
La Révision générale des politiques publiques (RGPP) engagée à marche forcée depuis juillet 2007 par le gouvernement Sarkozy-Fillon, constitue une vaste entreprise de démolition organisée des services publics, en particulier en matière de politiques sociales, sanitaires, culturelles et éducatives, en opérant des coupes claires dans les moyens financiers et humains mobilisés pour les conduire. Une logique purement comptable préside à sa mise en œuvre. Cette réforme a pour effet direct d’hypothéquer le travail que les associations effectuent depuis de longues années sur le terrain dans des conditions souvent difficiles, les moyens de les soutenir n’étant plus réunis. Les associations sont en effet toutes désignées comme variable privilégiée de cette politique « d’ajustement budgétaire », les dispositifs publics dans lesquels elles pouvaient inscrire leurs actions étant atteints au cœur de leurs missions. Or, au travers des associations, ce sont les citoyens les plus vulnérables, les habitants des quartiers paupérisés, les migrants – sur-représentés dans les milieux populaires -, qui sont en réalité visés.
… et de l’action sociale en faveur des populations d’origine étrangère résidant en France
Le sort réservé à l’Agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE), créée il y a trois ans à peine en remplacement du FASILD, est à cet égard très illustratif. Jusque-là principal opérateur public de soutien aux associations oeuvrant dans le champ de l’intégration et de la lutte contre les discriminations, puis de la Politique de la ville, l’ACSE, par décision du Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP – organe décisionnel de la RGPP) doit abandonner l’essentiel de ses missions en faveur de l’accès aux droits des immigrés, au profit de son « recentrage » sur la politique de la ville, dont l’avenir est également hautement hypothéqué… La création-substitution annoncée d’un nouvel opérateur, l’Office français pour l’immigration et l’intégration (OFII) dont la fonction principale sera d’être une véritable administration de l’immigration économique centrée sur un public de « primo- arrivants » jusqu’à cinq ans, masque mal l’opération visant à se dégager des politiques d’intégration des immigrés (accès aux droits, formation linguistique, médiation…), politiques principalement relayées par les associations sur le terrain. Il est d’emblée entendu que les rapports que l’OFII entretiendra avec les associations s’inscriront dans une logique de sous-traitance et d’exécution des politiques définies en haut lieu par le ministère de l’identité nationale…
Par ailleurs, à l’échelon régional, l’agence est désormais placée sous l’égide du préfet de région et à terme intégrée au sein d’une vaste Direction régionale jeunesse, sports et cohésion sociale (DRJSCS), ce qui est une autre manière de programmer une dilution des moyens jusque là traditionnellement alloués à « l’intégration », entendue comme soutien à l’ensemble des actions associatives concourant à l’égal accès à l’emploi, à la formation (y compris linguistique), au logement, à l’éducation, à la santé… des immigrés (ou perçus comme tels).
Les conséquences pour les personnes étrangères installées en France depuis plus de cinq ans qui n’ont pas la « chance » de résider sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville ont-elles été mesurées ?
C’est à la disparition d’une catégorie de l’intervention publique, celle en direction des migrants installés en France, que cette réforme risque d’aboutir, en entraînant avec elle tout un pan de la vie associative, la disparition de milliers d’emplois 1 associatifs et de l’expertise, des compétences et savoir-faire dont ces professionnels sont porteurs..
Menaces sur les savoirs-faires et l’expérience acquise des associations d’éducation populaire
La logique de restrictions budgétaires et de démantèlement des politiques publiques à l’œuvre dans le champ de l' »intégration » n’épargne pas l’Education nationale (baisse des budgets, suppression massive de postes, disparition progressive des RASED*, fermeture des IUFM∗∗…) et par ricochet, les associations qui interviennent dans son champ. « Les associations d’éducation populaire sont en effet directement menacées par la la diminution du soutien de la collectivité, et l’expérience acquise au cours d’années – de décennies – de travail dans les quartiers prioritaires et auprès des enfants en difficulté avec l’école risque de disparaître, broyée par les logiques d’évaluation à court terme et de restriction budgétaire ».
Or, par les nombreuses actions éducatives qu’elles mettent en œuvre (classes découvertes, rencontres sportives, activités en centres de loisirs, accompagnement scolaire), ces associations jouent un rôle essentiel dans l’égal accès de tous aux savoirs et aux loisirs et sont un facteur clé dans la cohésion sociale.
Abandon programmé des actions « Politique de la Ville » sur de nombreux territoires
Cette logique de restrictions budgétaires touche aussi la Politique de la Ville qui a vu ces dernières années une partie des crédits allouées aux contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) considérablement diminués au profit des dispositifs mis en place et pilotés par l’Etat tels que la « réussite éducative » ou plus récemment le « contrat d’autonomie ». Il est bien clair que cette réorientation des crédits sur les nouvelles priorités définies en haut lieu se fait au détriment des actions construites patiemment par les associations sur les quartiers pour coller au plus près aux besoins des populations.
Censée enrayer les processus de ségrégation spatiale et endiguer la dégradation des conditions de vie des habitants, la Politique de la Ville ne peut d’autre part s’envisager que sur le long terme afin de permettre aux habitants et aux structures qui interviennent dans les quartiers paupérisés – au premier rang desquelles les associations – d’engager des actions en profondeur et dans la durée. Si sur certains quartiers l’apport de cette politique est indéniable, ses hésitations et réorientations successives pénalisent lourdement les habitants, qui ont le sentiment de ne pas être pris en considération, et les acteurs de terrain qui voient la qualité et l’efficacité de leur travail régulièrement remises en cause.
Peu lisible, la Politique de la Ville tend par ailleurs de plus en plus à se décider au sommet de l’Etat. L’action publique au niveau local s’est longtemps appuyée sur le partenariat Etat / collectivités territoriales / associations, avec un ancrage territorial fort, mais cette logique contractuelle tend aujourd’hui à disparaître. Ainsi, alors que les premiers CUCS se terminent à la fin de l’année 2009, aucune concertation n’a encore été initiée localement. Absence de concertation d’autant plus inquiétante qu’il est question de recentrer les quelques 490 CUCS de la période 2007-2009 (qui concernent 2 200 quartiers répartis dans 935 communes) sur tout au plus une centaine de quartiers… Rien ne semble pour autant avoir été envisagé pour les sites qui ne seront pas retenus dans la nouvelle géographie prioritaire. Rien non plus sur la manière de mobiliser les politiques de droit commun à l’heure où les budgets des différents ministères se réduisent comme peau de chagrin…
La Politique de soutien à la vie associative au second rang des préoccupations gouvernementales
Plus globalement, alors que le secteur associatif représente une force collective et un poids économique indiscutable dans notre pays, la politique de soutien à la vie associative semble n’occuper qu’une place de second rang dans les préoccupations gouvernementales… Ainsi la récente nomination de Martin Hirsch en tant que Haut commissaire à la jeunesse entérine la disparition dans l’organisation gouvernementale de l’intitulé « vie associative »… La CPCA∗∗∗, instance de représentation du mouvement associatif, déplorait dans l’un de ses communiqués qu' »en 1 an et demi, le secteur associatif ait changé trois fois d’interlocuteur gouvernemental, deux fois de direction centrale et constaté une baisse programmée des crédits dans la loi de finances ». Si l’Etat tient un discours très valorisant sur les associations et ne manque pas de mettre en avant leur utilité sociale, les actes eux disent toute autre chose et n’augurent rien de bon pour les années à venir…
Du statut de partenaire à celui des prestataires, une marchandisation de l’action associative inacceptable
Le double discours de l’Etat sur la vie associative cache mal la réalité de son désengagement sur un certain nombre de champs qui relèvent de missions de services publics. Missions qu’il délègue aux associations à moindres frais selon une logique de plus en plus marquée de mise en concurrence. Cette externalisation s’est notamment traduite par le recours de plus en plus fréquent aux appels d’offre, pénalisant les associations rendues plus dépendantes et moins à même de se fédérer pour faire front à cette marchandisation croissante de secteurs qui jusque là étaient préservés car touchant à des domaines où le temps long et l’approche qualitative sont nécessaires.
Avec la généralisation de cette politique d’appels d’offre, les associations se retrouvent en concurrence entre elles mais également avec des entreprises du secteur privé à but lucratif. La complexité et la lourdeur du dispositif excluent de fait les petites associations. Quant aux structures associatives de plus grande taille, en concurrence avec le privé lucratif, elles doivent adapter leurs propositions à la commande publique et renoncer ainsi à leur spécificité. L’homogénéisation et les réponses formatées que la politique d’appel d’offre suscite risquent à moyen terme d’entraîner la disparition de la diversité du secteur associatif et engendrer des coûts sociaux très lourds.
Transformées en sous-traitantes, les associations passent avec ce dispositif du statut de partenaires à celui de simples prestataires des pouvoirs publics. Elles sont contraintes de renoncer à leur projet associatif et à leur liberté d’action. Evaluées sur la base de critères exclusivement quantitatifs, elles doivent faire leur deuil de modalités de travail pourtant au cœur de l’action associative. Plus question d’une approche globale et dans la durée souvent nécessaire à la résolution de situations individuelles ou collectives complexes. Plus question d’adapter les propositions aux évolutions des réalités sociales. Plus question d’innover en fonction des besoins repérés. Seule compte désormais la rentabilité mesurée à l’aune de l’équation « coûts engagés / résultats (quantitatifs) obtenus ».
Enfin, le recours de plus en plus fréquent à ces dispositifs ne peut à terme qu’entraîner la mise sous tutelle des associations. Comment pourraient-elles en effet exercer leur fonction d’expression citoyenne, dénoncer les abus de l’Etat ou du privé lucratif alors qu’elles sont dans une relation de dépendance totale à l’égard du financeur donneur d’ordres ? L’application des règles du marché au secteur non lucratif le dénature profondément, le bouleverse dans son essence. De force de proposition et potentiel contre-pouvoir, élément essentiel de la vitalité démocratique, il est contraint de s’institutionnaliser peu à peu, de se transformer en pur gestionnaire et de devenir un maillon d’un système dominant qui étouffe toute velléité de contestation en son sein.
Financements associatifs : des problématiques récurrentes mais … toujours pas résolues
A cette tendance de fond qui lamine le secteur associatif s’ajoutent des difficultés plus anciennes mais récurrentes concernant le financement associatif.
Les modalités de financement des associations reposent par exemple sur la logique d’activités segmentées ce qui exclut la prise en compte des frais de fonctionnement sans lesquels le projet associatif ne peut se réaliser.
A cela s’ajoute chaque année l’incertitude quant aux subsides accordés par les pouvoirs publics (Etat et collectivités territoriales) avec des réponses qui arrivent souvent tardivement alors que les actions sont déjà plus qu’engagées, ce qui ne manque pas de poser des problèmes de trésorerie aux associations les plus fragiles.
Quant au système de conventionnement pluriannuel, qui était censé apporter une plus grande sécurité aux associations, loin d’être généralisé comme le préconisait la charte Etats/associations du 1er juillet 2001, il est encore très largement sous-utilisé. Peu nombreuses sont en effet les structures qui en bénéficient, ces dernières n’étant par ailleurs pas à l’abri d’une baisse des crédits en cours de convention.
Dépendre du mécénat privé
Une autre tendance se fait jour depuis quelques années et consiste à inciter les associations à recourir au mécénat privé pour financer des activités d’intérêt général. Le fait que cette modalité de financement puisse être posée comme pouvant se substituer à des financements publics interroge quant à la nature de la société que nous voulons. Peut-on admettre que l’intérêt général, que des activités d’utilité sociale, dépendent du bon vouloir et de la générosité de quelques personnalités ou bien doit- on au contraire les faire reposer sur la contribution équitable et la solidarité des citoyens ?
Enfin, pêle-mêle, le manque d’interlocuteurs identifiés, la complexité et la multiplication des dossiers de demande de subvention, la lourdeur du travail administratif qui en découlent, les exigences toujours plus importantes des partenaires financiers… pèsent lourdement sur les associations qui doivent consacrer toujours plus de temps à ces tâches au détriment de la mise en œuvre du projet associatif.
A quand un véritable emploi associatif ?
Autre problématique récurrente : celle de l’emploi associatif. Alors que le secteur associatif compte 180 000 structures employeurs et quelques 2 millions de salariés, on ne peut que déplorer l’absence de réflexion globale sur cette question. Pour simplifier, on peut estimer que le financement de l’emploi associatif repose principalement sur deux logiques : – soit celle de l’aide au poste (ou aide à la structure) via les dispositifs FONJEP par exemple – soit celle de l’aide à la personne. Dans cette deuxième catégorie, on retrouve aussi bien des dispositifs comme les « adultes-relais » ou les « emplois-tremplins » que des dispositifs d’insertion (comme les contrats d’accompagnement dans l’emploi, les contrats d’avenir, les contrats initiative emploi…), beaucoup plus instables et destinées à des publics très fragilisés. Via ces dispositifs, nombre de personnes ont pu accéder ou retrouver un emploi, mais ils ont aussi contribué de manière indirecte à la création et au développement d’activités diverses ayant un caractère d’utilité sociale.
Se pose alors le problème de la pérennisation de ces activités qui va de pair avec la pérennisation des postes de salariés au sein des associations. Car, contrairement à l’idée communément admise, salariat et bénévolat ne s’opposent pas mais se complètent et se renforcent mutuellement. Aussi, dans la perspective du maintien de ses activités socialement indispensables, du renforcement du bénévolat et de la sécurisation de l’emploi, il convient aujourd’hui de repenser la question de l’emploi associatif afin de passer d’une approche essentiellement basée sur l’aide à la personne à une approche reposant principalement sur le soutien à la structure porteuse du projet associatif.
Alors que leur caractère d’utilité sociale est indéniable et qu’elles bénéficient de la confiance de 80% de la population, alors qu’au plan économique elles représentent une force supérieure à celle de l’industrie automobile et de l’agriculture, alors qu’elles sont l’un des rouages essentiels du système démocratique, les associations n’ont à ce jour aucune assurance de pouvoir continuer à exercer leurs missions dans des conditions normales. Pire : elles doivent s’adapter au nivellement par le bas des politiques publiques ou disparaître. Pour elles aussi, la précarité subie par nombre de citoyens est en train de devenir la norme.
Le 9 mars 2009
- ∗ Réseaux d’aide spécialisée aux enfants en difficulté
- ∗∗ Institut universitaire de formation des maîtres
- ∗∗∗ Conférence permanente des coordinations associatives