Analyse de la circulaire du 18 janvier 2010
Par Didier Minot
La circulaire du 18 janvier 2010 relative aux relations entre les Pouvoirs Publics et les associations prétend « clarifier et sécuriser le cadre juridique des relations financières entre pouvoirs publics et associations, et simplifier les démarches effectuées par les associations ». La conclusion affirme que « cette circulaire participera pleinement de la reconnaissance de l’action des associations et de l’essor du mouvement associatif auquel le gouvernement a réaffirmé son attachement ».
Le contenu du texte, et notamment ses annexes, nous montre qu’une fois de plus le gouvernement procède par antiphrases : le titre d’un texte énonce l’inverse de son contenu.
Observations sur le texte de la circulaire (p 1 et 2)
L’objectif principal est de redéfinir les modalités de financement des associations au regard de la réglementation européenne relative aux aides de l’État. En clair, la circulaire vise à transposer le droit européen dans le droit français1
L’essentiel du contenu se trouve dans des annexes. 17 pages au total ! Il faut une bonne culture administrative pour arriver au bout, ce qui n’est évidemment pas la portée de toutes les associations. La complexité de la circulaire a en elle-même un sens politique.
Un modèle CERFA de circulaire annexée à la convention doit être utilisé dès maintenant par l’ensemble des administrations de l’État et des établissements publics sous tutelle. Les collectivités sont encouragées à utiliser le même formulaire. Un guichet unique permettra progressivement aux associations subventionnées par plusieurs administrations de l’État de fournir un seul dossier. L’application de cette politique fera l’objet d’un rapport annuel à la commission européenne. Un registre national des associations est mis en place.
Pour les associations qui sollicitent un agrément, un tronc commun d’agrément est mis en place sur la base de 3 critères : objectifs d’intérêt général, mode de fonctionnement démocratique et transparence financière.
Observations sur l’annexe 1 (note distribuée lors de la Conférence de la Vie Associative)
Cette note de 4 pages bien serrées est un véritable énoncé de doctrine, difficile à résumer et à interpréter. Un texte réglementaire doit être clair et concis. Cependant, par son insertion en annexe de la circulaire cette note acquiert une valeur impérative. Il est donc important de la lire en détail.
L’introduction est plutôt positive. « Les associations à but non lucratif manifestent régulièrement leur inquiétude sur les conséquences d’un cadre juridique qui met en cause la spécificité de l’engagement associatif, voire son développement. Les travaux préparatoires à la conférence de la vie associative ont mis en évidence la nécessité de clarifier le cadre juridique sans pour autant en faire une interprétation exagérément contraignante, de mieux faire la part entre les hypothèses où un marché doit être passé et celles où il peut être recouru aux subventions. L’Union Européenne laisse aux Pouvoirs Publics un rôle essentiel et un large pouvoir d’appréciation tant pour la définition des services économiques d’intérêt général que pour leur mode d’organisation. Le présent document prolonge les conclusions d’un des groupes de travail de la CVA pour rappeler quelques règles simples, accessibles à tous. Il ne prétend pas régler de manière définitive l’ensemble des cas de figure ni épuiser le sujet. Il se poursuivra au cours du premier trimestre 2010 et fera l’objet d’une concertation avec les associations et les représentants des collectivités territoriales ».
La suite corrige largement cette bonne impression, en énonçant quatre points
1 la réglementation européenne des aides d’État s’applique aux associations.
Le syllogisme est imparable. « La réglementation dite des « aides d’État »2 s’applique à toute « entreprise » recevant un financement public dès lors qu’elles exercent une activité « économique » d’intérêt général, et ce quel que soit son statut juridique, pour la partie de son activité qui est « économique ». Les règles d’encadrement des aides ne s’appliquent pas en revanche à sa part d’activité qui serait qualifiée de non économique ».
« Est qualifiée d’activité économique toute offre de biens et de services sur un marché. Seules échappent à cette qualification les activités liées à l’exercice des prérogatives de puissance publique ou certaines activités identifiées par la jurisprudence communautaire, comme les prestations d’enseignement public ou la gestion de régimes obligatoires d’assurance » (sic). La circulaire interprète « Dans la pratique la grande majorité des activités exercées par des associations peuvent être considérée comme des activités économiques ».
Cette dernière affirmation constitue le coeur de la circulaire. Elle indique que le gouvernement français, dans son interprétation, ne reconnaît pas d’autre finalité aux associations que l’activité économique et méconnaît l’importance de l’objet social des associations qui cherchent à promouvoir la citoyenneté, développer la coopération, assurer le lien social, développer les pratiques culturelles, contribuer à l’éducation des jeunes, etc. de même que leur contribution à l’intérêt général.
Dès lors qu’on accepte ce syllogisme, toutes les associations deviennent des entreprises relevant de la concurrence libre et non faussée. Par exemple, de nombreuses associations travaillent au soutien scolaire. Dès lors qu’une entreprise privée se crée pour vendre du soutien scolaire celui-ci devient un marché et seulement un marché. De même, un centre qui s’occupe de jeunes en, situation de handicap peut avoir pour objectif la dignité et l’autonomie des personnes, il sera considéré comme prestataire à des petits clients.
Il est essentiel d’obtenir une définition plus précise de la part d’activités des associations qui seront qualifiées de non économique, et de définir comment prendre en compte les finalités réelles poursuivies.
2 Les subventions aux associations sont libres jusqu’à 200 000 euros sur 3 ans
« Les concours financiers versés sous forme de subventions à une association exerçant une activité économique d’intérêt général ne sont pas qualifiés d’aides d’État et ne sont soumis à aucune exigence particulière dès lors qu’elles demeurent inférieures à 200 000 euros sur 3 ans ».
Ce seuil est apprécié toutes aides publiques confondues, en intégrant les facilités accordées à titre gratuit par les collectivités publiques (mise à disposition de locaux, de personnel et de matériel).
Au-delà, ils ne sont acceptables que s’ils sont regardés comme la compensation d’obligations de service public, définies comme suit :
– l’association est explicitement chargée, par un mandat d’intérêt général d’exécuter des obligations de service public clairement définies dans leur consistance, leur durée et leur étendue. La compensation financière est calculée sur une base préalablement établie de façon objective et transparente
– cette compensation est strictement proportionnée au coût occasionné par l’exécution des obligations de service public assuré est périodiquement contrôlée et évaluée pour éviter la surcompensation
– lorsque cette compensation excède 30 millions d’euros par an ou que le chiffre d’affaires annuel de l’association dépasse 100 millions d’euros par an au cours des 2 exercices précédents, cette compensation doit être notifiée à la Commission européenne.
– dans le cadre des procédures de marchés publics ou de délégations de Service Public, les compensations financières échappent purement et simplement à la qualification d’aides d’État.
Commentaire La circulaire opère une distinction par les niveaux de subventions. Cela est commode, mais n’est pas pertinent. Certaines petites associations sont de fait des entreprises unipersonnelles, alors que de très grosses associations, comme celles gérant des établissements pour personnes handicapées par exemple, poursuivent une autre finalité que l’action économique. La seule approche valable serait d’opérer des distinctions entre les associations qui ont une activité commerciale, et qui relèvent de la circulaire, et celles qui tout en vendant des biens ou des services pour équilibrer leurs comptes n’ont pas pour finalité le profit. Pour cela, l’administration doit évaluer le projet associatif et se donner les moyens d’instruire les dossiers.
C’est d’ailleurs ce que fait le juge européen avec l’arrêt Altmark. Mais cela impliquerait une capacité d’analyse, une indépendance de jugement des projets associatifs et une connaissance du terrain que les services spécialisés de l’État ont malheureusement perdues. L’absence d’évaluation réelle depuis de nombreuses années a rendu plus facile un certain nombre de dérives mercantiles qui rendent effectivement nécessaire un texte réglementaire ou législatif, mais certainement pas sur les bases qui sont imposées ici.
Le paragraphe suivant interprète ces dispositions en précisant que la réglementation européenne relative aux aides d’État n’impose pas le recours à la procédure de passation des marchés publics. La notion de mandat est suffisamment flexible pour intégrer les hypothèses dans lesquelles la collectivité publique approuve et finance les propositions émanant du secteur associatif dont elle reconnaît qu’elles répondent à une finalité d’intérêt général. La subvention peut constituer un mode de financement légal dans le cadre d’un service économique d’intérêt général (avec bien sûr les limitations énoncées plus haut).
La CPCA a justifié son soutien à cette circulaire en disant que celle-ci réaffirme le principe de la subvention. Mais ce qui est visé dans ce chapitre, c’est le principe de la subvention. Bien sûr, celle-ci n’est pas formellement remise en cause, mais elle est tellement encadrée qu’elle devient exceptionnelle. On notera le glissement sémantique de « subvention » à « compensation ». Les subventions sont des actes par lesquels l’État ou une collectivité contribuent au financement d’une action d’intérêt général, en application du Code général des collectivités territoriales3. Ce texte traduit une tutelle de plus en plus pesante de l’Union européenne et de l’État sur la libre administration des collectivités.
3 Subventions d’un projet associatif
Au regard de la réglementation nationale relative à la commande publique, la subvention caractérise la situation dans laquelle la collectivité apporte un concours financier à une action initiée et menée par une personne publique ou privée poursuivant des objectifs propres, auxquels l’administration, y trouvant intérêt, apporte un soutien. Pour pouvoir bénéficier d’une subvention, une association doit être à l’initiative du projet, avec 2 cas de figure :
– soit le projet émane de l’association et ne donne pas lieu à contrepartie directe pour la collectivité publique. Elle ne correspond pas à un besoin préalablement défini, pour le compte duquel l’association agirait comme un prestataire rémunéré.
– soit le projet s’inscrit dans le cadre d’un appel à projets lancés par une collectivité publique.
Dans ce cas, on n’est plus nécessairement dans le champ économique et la réglementation européenne ne s’applique pas obligatoirement. Il faut donc contester l’affirmation que « dans la pratique la grande majorité des activités exercées par des associations peuvent être considérée comme des activités économiques » et la définition des seuils qui semblent s’appliquer en toute généralité à l’ensemble des subventions aux associations.
4 Actions menées à l’initiative des collectivités
Si la collectivité est à l’initiative du projet, on se situe dans le cadre de la commande publique, avec deux modes d’intervention : le recours aux marchés publics (appel d’offres) ou la délégation de service public. Dans les deux cas, une publicité préalable et postérieure est nécessaire. Le marché public vise à répondre à un besoin de la collectivité et donne lieu à la rémunération d’une prestation.
5 Articulation avec la directive « Services ».
La circulaire affirme sans rire que la directive dite « services » est sans lien avec la question des subventions aux associations, tout en précisant que de nombreux secteurs sont concernés à la fois par la présente circulaire et par l’application de la directive services.
Annexe II (modèle de convention)
Le modèle de convention imposé aux associations explicite de façon pesante les dispositions législatives et réglementaires dans lesquelles s’inscrit la convention, en alourdissant considérablement le caractère bureaucratique de ces conventions. Cela n’est pas nécessaire. Le style est particulièrement lourd. Il traduit une suspicion générale vis-à-vis des associations, soupçonnées par principes d’abuser des subventions.
L’article 1 du modèle de convention énonce par exemple « l’association s’engage à mettre en oeuvre, en cohérence avec les orientations de politiques publiques mentionnées au préambule, le programme d’action comportant les obligations mentionnées à l’annexe I, laquelle fait parti intégrante de la convention ». Mais on pourrait multiplier les exemples et nous invitons le lecteur à lire le modèle de convention.
Article 3 détermination du coût de l’action
Le budget prévisionnel de l’action peut être modifié à la hausse et à la baisse dans la limite d’un pourcentage, à condition que cela n’affecte pas la réalisation du programme de l’action. L’association doit notifier ces modifications par écrit dès lors qu’elle peut les évaluer et avant le 1er juillet d’année en cours.
Mais dans le même temps, l’administration et les différents partenaires (collectivités) ne décident que très tardivement dans l’année le montant de leurs subventions, alors que les projets doivent être déposés très tôt dans l’année, voire parfois dans les derniers mois de l’année précédente. Il est impossible, au moment où l’on dépose le dossier d’annoncer de façon certaine le budget prévisionnel de l’action. Ainsi, la circulaire fixe des obligations impossibles à satisfaire et par définition met l’association « à la faute ».
« Les retards dans l’exécution de la convention, pour une raison quelconque, doivent être signifiés à l’administration par lettre recommandée avec accusé de réception ».
« L’association doit fournir 3 mois avant le terme de la convention un bilan d’ensemble qualitatif et quantitatif de la mise en oeuvre du programme d’action ». Cela est également irréaliste, car 3 mois avant le terme de la convention l’action peut ne pas être terminée. « L’administration procède conjointement avec l’association évaluation des conditions de réalisation du programme ».
Cela est également irréaliste : la circulaire méconnaît les conditions de travail habituel entre les associations et les services de l’État ou des collectivités. Compte tenu de la RGPP, qui réduit les effectifs des services de l’administration, celle-ci n’a pas les moyens aujourd’hui de procéder à un examen au cas par cas les conditions de réalisation de chacune des actions subventionnées. Cela n’était déjà pas le cas il y a 10 ans, et encore moins aujourd’hui.
Annexe IV Simplification de l’agrément
L’annexe 4 propose une simplification de l’agrément. Lorsqu’une association sollicite plusieurs agréments, la circulaire met en place un tronc commun d’agrément comportant 3 critères : objet d’intérêt général, modes de fonctionnement démocratique et transparence financière. La validation de ces 3 critères par un ministère s’impose aux autres administrations, qui peuvent délivrer au-delà des agréments aux habilitations spécifiques.
Cette démarche, semble-t-il inspirée des procédures européennes par lesquelles une autorisation de mise sur le marché dans un pays s’impose aux autres pays, n’a pas été étudiée par le collectif. Certains participants à la formation se sont néanmoins interrogés pour savoir si cela ne prélude pas à l’obligation d’un agrément pour pouvoir bénéficier de subventions. D’autres au contraire pensent qu’on va vers un abandon des agréments au profit d’appels à projets, comme cela vient d’être fait pour le secteur médico-social.
Annexe 5 Définitions des critères principaux de l’agrément : intérêt général, fonctionnement démocratique, transparence financière
L’annexe 5 de la circulaire détaille le contenu des 3 critères, et notamment ce qu’il faut entendre par « objet d’intérêt général »
Objet d’intérêt général :
– l’association ne défend pas des intérêts particuliers et ne se borne pas à défendre les intérêts de ses membres
– l’association doit être ouverte à tous sans discrimination et présenter des garanties suffisantes au regard du respect des libertés individuelles
– l’association doit poursuivre une activité non lucrative, avoir une gestion désintéressée4 (42) (être gérée et dirigée à titre bénévole), ne procurer aucun avantage exorbitant à ses membres et ne pas agir pour un cercle restreint
– l’association doit faire preuve de sa capacité à travailler en réseau avec d’autres partenaires, notamment associatifs.
Mode de fonctionnement démocratique :
– réunion régulière des instances
– renouvellement régulier des instances dirigeantes
– assemblée générale accessible avec voix délibérative à tous les membres définis dans les statuts, ou à leurs représentants de structures locales
– l’assemblée générale élit les membres de l’instance dirigeante
– les membres devront en disposent à l’avance des documents sur lesquels ils sont amenés à se prononcer
– les modalités de vote sont précisées dans les statuts ou le règlement intérieur.
Transparence financière :
– les comptes doivent être accessibles à tous les membres ;
– les comptes sont publiés au Journal officiel ou adressés annuellement à toutes les administrations avec lesquelles l’association a des relations financières, administratives (cf. agrément…)
– la pérennité de l’association ne dépend pas exclusivement d’un même financeur. La proportion des fonds publics ne doit pas être de nature à qualifier l’association d’association para-administrative.
– publicité des comptes5 pour les associations ayant plus de 153 000 € de dons ou de subventions publiques (cf. décret n° 2009-540 du 14 mai 2009)
– transmission chaque année des comptes rendus d’activités au préfet du siège social ou à l’administration centrale du ministère qui a délivré l’agrément ;
– transmission à la préfecture de la mise à jour de la composition des instances dirigeantes et des modifications de statuts et du compte d’emploi des ressources pour les associations faisant appel à la générosité publique au plan national (loi de 1991)
Il existe un document Powerpoint qui résume l’analyse ci-dessus.
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1 Notamment l’arrêt de la CJCE »Altmark » du 24 juillet 2003 et le paquet »Monti-Kress » du 28 novembre 2005. Curieusement, l’arrêt Altmark considère que
2 régime défini par les articles 86 à 88 du traité, complété par l’arrêt de la CJCE »Altmark » du 24 juillet 2003 et le paquet »Monti-Kress » du 28 novembre 2005.
3 Article L. 1115-1 « Les Communes, les Départements et les Régions concourent au développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique, ainsi qu’à la protection de l’environnement et à l’amélioration du cadre de vie ». Les articles L2 1121-29, L3 1211-1 et L4 1221-1 fondent une compétence générale des collectivités locales à intervenir dans la mesure où il existe un « intérêt public local ».
4 L’indemnisation des administrateurs de l’association à un montant au maximum des 3/4 du SMIC ne remet pas en cause le caractère désintéressé (instruction fiscale du décembre 2006). De même, la rémunération des dirigeants est autorisée sous certaines conditions indiquées : 200 000 € de fonds d’origine privée annuellement, pour rémunérer un dirigeant, 500 000 € pour en rémunérer deux et 1 000 000 € pour trois (article 261-7-1 du code général des impôts).