« Gilets jaunes », annonces gouvernementales et grand débat… 4 mesures et un enterrement ?
Mardi 8 janvier 2019
Face à la colère légitime qui s’exprime massivement à travers le mouvement des « gilets jaunes », c’est à un exercice de style périlleux que se prêtent le Président Macron et son gouvernement. La prouesse consiste essentiellement à faire passer des propositions sans toucher à l’idéologie qui soutient cette politique, celle du ruissellement, selon laquelle l’enrichissement de quelques-uns bénéficierait mécaniquement à tous. Sauf que les faits sont têtus. Les détenteurs des grosses fortunes continuent à s’enrichir, à bénéficier de largesses fiscales, de redistributions exponentielles de dividendes, tandis que les personnes les plus modestes ne parviennent plus à vivre de leur travail. Et ce ne sont pas les quelques primes versées qui modifieront de façon structurelle cela. Les 4 articles votés en urgence par l’Assemblée Nationale (prime exceptionnelle versée aux salariés du privé, défiscalisation des heures supplémentaires, élargissement de l’exonération de la hausse de la CSG, hausse de la prime d’activité, mais pas du SMIC) annoncés comme mesures d’urgence économiques et sociales se révèlent être des mesures conformes à la « politique de l’offre », qui ne feront qu’accentuer les inégalités économiques et sociales.
Les 4 mesures du Président Macron : un vrai tour de passe-passe…
1- Donner d’une main, reprendre de l’autre
L’augmentation du SMIC ne doit rien coûter aux entreprises, nous dit le gouvernement. En conséquence, les 100€ pour « revaloriser le SMIC » deviennent 100€ soumis à condition, en fonction des foyers fiscaux, donc pas pour tout le monde, pris en charge sur le budget de l’État, donc en échange d’efforts à fournir sur la dépense publique. Une sorte de prime auto-financée par les usagers eux-mêmes, alors que l’absence de services publics auprès de la population, dans les territoires les plus isolés ou en difficulté, est un des symptômes de la relégation sociale que mettent en lumière les expressions multiples des « Gilets Jaunes » ; alors que les besoins en matière de santé, d’éducation, de transport, ou de logement nécessiteraient un développement de ces services publics ; alors que la relance de la consommation interne pourrait s’appuyer sur l’augmentation du pouvoir d’achat des français.
2- Merci Patron
La prime versée aux salariés du privé est laissée au bon vouloir des entreprises. La preuve est ainsi faite, au moins pour les multinationales et les grandes entreprises, de leur capacité réelle à augmenter significativement les salaires, au regard des fastueux dividendes redistribués aux actionnaires. Quelle triste ironie de voir ces grandes entreprises montrées en exemple quant à leur volonté de mettre la main à la poche, alors que ces mêmes groupes bénéficient des largesses du gouvernement (CICE, Crédit Impôt Recherche, exonération de l’ISS, réduction de l’ExitTax, sans compter l’évasion fiscale de ces grandes fortunes, ou la suppression de l’ISF). Triste ironie de voir certains, tel les GAFAM et autres hérauts de la Macronie, se dispenser de toute mesure de fin d’année. Le père Noël ne passera pas chez tout le monde, et il ne passera qu’une fois.
3- Pénaliser l’emploi
Riche idée de défiscaliser les heures supplémentaires, façon Nicolas Sarkozy. Cette mesure ne bénéficiera en fait qu’à une minorité de salariés, parfois même pour ceux ayant de hauts salaires, et pénalisera le retour à l’emploi de nombreux autres. On est très éloigné d’une société inclusive, offrant à chacun un droit à l’emploi, un revenu décent, régulier, dans le cadre d’un droit du travail protecteur pour les plus démunis. Mais très proche des demandes du MEDEF dont les yeux brillent plus que les guirlandes de noël face à autant de cadeaux inespérés déposés à leurs pieds, un appel à la charité encouragé par des avantages fiscaux.
4- Faire payer les retraités, comme ultime recours
La moitié des retraités touchés par l’augmentation de la CSG verront l’annulation de cette mesure en 2019. Bienvenue, cette décision reste toutefois compatible avec ce système capitaliste et ne remet pas en cause les entendus de la politique présidentielle. Il n’en reste pas moins que l’injustice sociale est une des caractéristiques du système néolibéral, et les retraités ne doivent plus espérer le maintien de leurs droits acquis durant leurs années de travail : aujourd’hui la CSG et la désindexation des pensions, demain la suppression de la pension de réversion, et plus généralement une réforme des retraites qui se prépare sur leur dos. Comme ironise l’économiste Joseph Stiglitz, « un bus suffit pour rassembler les milliardaires qui possèdent la moitié des richesses mondiales ». Pour « respecter » la règle d’or européenne des 3 %, le gouvernement de M. Macron n’envisage pas d’autre solution que faire payer M&Mme Toutlemonde… sauf ce 1% des plus riches qui détient 25% des richesses nationales. Promesse de campagne d’un candidat-président faite à ses riches donateurs ?
Un grand débat national face à la colère légitime qui s’est exprimée
La « grande concertation nationale » se déroulera en deux temps : une première phase, de mi-décembre à mi-janvier, au niveau des communes et une seconde phase, de mi-janvier à mi-mars, à l’échelle nationale. Tout comme les associations, les citoyens ne se font aucune illusion tant l’expérience des concertations antérieures a montré leur impuissance à faire prendre en compte les apports des « partenaires sociaux ». Selon les propres mots de Chantal Jouanno, au nom de la Commission Nationale du Débat Public « il est primordial de ne jamais laisser entendre que le gouvernement pilote directement ou indirectement » ce débat. Ne pas « laisser entendre »… comme un aveu d’un débat destiné à calmer la colère qui s’exprime sur les boulevards comme sur les ronds-points.
L’enjeu essentiel devrait être de porter le débat à tous les niveaux pour mener la transition sociale en même temps qu’écologique. Mais l’angle par lequel sont abordés les 4 thèmes proposés au débat (transition écologique, fiscalité, organisation de l’Etat, démocratie et citoyenneté) relève d’une seule et même logique, sous couvert de « mieux accompagner les Français dans leur vie quotidienne », ou encore « mieux répondre aux besoins des Français »… Autant de belles paroles masquant ainsi le dogme dans lequel M. Macron s’enferme : tout se fera à moyens constants, voire moindre, dans le cadre d’une baisse des dépenses publiques, sans s’attaquer ni à l’appropriation par un petit nombre des richesses produites, ni aux abattements et détournements fiscaux dont ils bénéficient impunément, ni surtout à leur pouvoir et leur position sociale.
« Fin du monde Fin du mois » Même combat
Il y a urgence à comprendre que luttes sociales et environnementales c’est la même chose. Le mouvement des « Gilets Jaunes », s’il s’exprime avec ses propres particularités, et notamment une forte défiance à l’égard de toute forme pré-constituée, se situe dans le prolongement des grandes luttes qui ont contesté les fondements de cette société injuste et liberticide. C’était le cas lors du mouvement contre le plan Juppé visant à la réforme des retraites (1995), ou encore la forte mobilisation de la jeunesse contre le Contrat Première Embauche de M. Chirac (2006). Comme lors des émeutes des banlieues en 2005, toute mobilisation populaire de cette ampleur trouve son fondement dans l’intensité par laquelle les personnes se sentent encore plus reléguées au sein d’une société à laquelle ils n’accordent plus crédit. Toute révolte s’élève contre des souffrances. Et alors que tout un chacun a conscience des urgences écologiques liées au réchauffement climatique et ses conséquences environnementales, il est encore plus insupportable de ressentir que les efforts pour « sauver la planète » sont demandés aux seules personnes essayant de vivre ou survivre de leur travail, tout en exonérant les personnes les plus aisées, les plus grosses fortunes, les plus gros producteurs de CO2 et de surconsommation.
Les Gilets Jaunes se rappellent au souvenir du « pauvre » Plan Pauvreté annoncé en septembre
Dans un communiqué publié en septembre dernier le CAC dénonçait la « pauvreté » du Plan Pauvreté du gouvernement. Aux 8 milliards d’euros sur 4 ans annoncés alors « s’opposent implacablement les milliards consacrés au Plan Richesse du quinquennat : 16 milliards d’euros pour la suppression de l’ISF, 9 milliards pour le prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital, 38 milliards au titre du CICE et des baisses de cotisations pour la seule prochaine année… Sans oublier les 60/80 milliards d’évasion fiscale estimés par des ONG. ». Les Gilets Jaunes apportent aujourd’hui la preuve que ce plan ne s’attaquait pas à la pauvreté.
Nous y soulignions le rôle que jouent les milliers d’associations « quotidiennement auprès des personnes les plus fragiles. Elles participent à la création du lien social, s’engagent dans les territoires et favorisent l’accès à la culture et aux loisirs. »
Les associations citoyennes dans la concertation pour une transition sociale, économique et écologique
En faisant entendre leurs voix, les mouvements sociaux ouvrent la voie à un autre possible. Le message de M. Macron et de sa majorité est clair. Ce sont les ménages et eux seuls qui autofinanceront les mesures gouvernementales. Cette politique-là n’est plus supportable au niveau français comme européen. A l’opposé, le mouvement social organisé porte une autre expérience. C’est sur les ronds-points, lors de rassemblements, ou à l’occasion des rencontres locales, que se tissent les liens, que se confrontent les idées, que se construisent les savoirs nouveaux et les idéaux. Ce qui s’expérimente dans ces lieux porte un nom, celui d’Éducation Populaire. Les associations citoyennes agissent avec les habitants quotidiennement pour construire les alternatives et combattre les inégalités, pour défendre les droits et penser de nouvelles formes de consommation, pour une économie soutenable, favorisant les circuits courts et préservant l’environnement. Que ce soit autour d’un café ou en facilitant le débat, par la rédaction de cahiers de doléances, ou le recueil de revendications, elles ont toute leur place pour organiser le débat avec les citoyens en mouvement, et déjouer les pièges de la « grande concertation » annoncée.
Pour le Collectif des Associations Citoyennes, Gilles Rouby
Derniers articles du CAC à lire ou relire (en lien avec les sujets) :
- Dix thèses à propos des « Gilets jaunes », dix thèses pour les associations, dix contre-thèses à propos du macronisme – analyse proposée le 8 janvier 2019
- Synthèse de la réunion inter-réseaux du lundi 7 janvier 2019 « Faire converger les mobilisations écologiques et sociales : comment les réseaux citoyens peuvent agir ensemble ? »
- Petite sélection de textes ou communiqués pour enrichir débats et réflexions : Gilets jaunes et associations – nov/déc 2018