Philanthropie à la Française, un rapport parlementaire néolibéral inacceptable
Philanthropie à la Française, un rapport néolibéral : inacceptable
Le rapport sur « La philanthropie à la française » de mesdames les députées de Loire-Atlantique et du Val-de-Marne[1], vient d’être remis au Premier ministre. Celui-ci comprend 35 propositions, dont la grande majorité concerne le financement des fondations. Beaucoup de ces propositions font référence et sont inspirées du modèle anglo-saxon. Le vocabulaire du rapport comme il est d’usage dans la « start-up nation » est truffé d’expressions anglaises pour expliciter le français que les français ne comprendraient plus : l’opération « Game changers » et les « gamers », les « smart contrats, Initial Coin offering, zero Waste, Social business, Charity business, Theory of change, open data, Save, Spend, Share, give back to the Community, Givind stusday, sponsoring… » !
Nous y trouvons des « perles » comme : « L’économiste Zoltan Acs souligne que la philanthropie est tributaire du développement de la prospérité des individus et des entreprises, si bien qu’elle a besoin de l’économie capitaliste pour exister ».
Les rédactrices définissent les fondations comme : « Une fondation, c’est avant tout de l’argent privé mis à disposition d’une œuvre publique », à laquelle nous pouvons opposer une définition beaucoup plus proche de la réalité : « Une fondation c’est avant tout de l’argent public (entre 66 et 75% de dégrèvements fiscaux, donc d’impôts), utilisé par le privé pour un cause privée choisie par le fondateur, le plus souvent déguisée en une cause publique ».
Les trente-cinq propositions s’articulent autour de trois axes :
- « Une clarification et une stabilisation du cadre juridique et législatif qui assure plus de simplicité et de transparence », en fait réduire le nombre de statuts de fondation de huit à quatre, tout en proposant la création d’une nouvelle forme de fondation, les « fondations des territoires » sur le modèle des fondations communautaires anglo-saxonnes (les « Community Foundations »), afin de « répondre au besoin de plus de dialogue public-privé »,… « elles serviraient de relais et d’interlocuteur privilégiés en local entre collectivités, associations, fondations et entreprises », ces fondations collecteraient les dons et les redistribueraient à « des œuvres d’intérêt général » ; ce qui aurait l’avantage, entre autre, de mettre les associations sous tutelle du privé et des fondations.
- « Une diversification des sources de financements, incluant notamment des modifications du droit des libéralités et des successions », avec deux sous axes, un premier portant sur le financement : Axe 2a Libéralités, droits de succession et autres leviers de financement, qui comprend 18 propositions sur les 35, qui toutes visent à des mesures fiscales ou réglementaires, afin que ce soit la collectivité qui supporte le financement des fondations. Exemples : « Proposition 12 : Adapter le régime fiscal de l’abattement sur succession en cas de transmission à un organisme philanthropique, incluant les ARUP (Art. 788 III CGI) ; Proposition 13 : Évaluer l’impact des nouvelles exonérations des droits de mutation facilitant les donations et legs d’intérêt général ». Axe 2b Éducation et valorisation à la philanthropie. Exemples « Proposition 29 : Promouvoir la philanthropie à l’école par un label ou un concours national Établissement citoyen » ; « Proposition 30 : Promouvoir la philanthropie à travers le Service National Universel (SNU) », dont la philosophie et le contenu s’apparentent plus à un formatage idéologique qu’à un enseignement.
- « Au-delà se dessine un modèle de philanthropie « à la française » qui pourrait être soutenu par des mesures structurelles profondes d’accompagnement et d’évaluation », dont la proposition phare est : « Proposition 33 : Créer un organisme multi-acteurs et interministériel, en charge principalement de la définition de l’intérêt général et de la Reconnaissance d’Utilité Publique (RUP), sous le Haut Patronage du Premier Ministre et composé de cinq collèges, pour une approche holistique de l’écosystème philanthropique » dont :
- Le premier serait constitué des représentants de l’ensemble du secteur : fondations, fonds de dotation et associations. Le mode pratique de composition de ce collège fera l’objet d’une concertation ultérieure ;
- Le second collège, purement étatique, serait constitué de représentants de l’Administration et des différents ministères concernés afin de coordonner les initiatives et actions à conduire ;
- Le troisième collège serait composé des représentants du pouvoir judiciaire, incluant le Conseil d’État, la Cour des Comptes ou la Cour de Cassation ;
- Des représentants d’élus pour le quatrième collège ;
- Enfin un collège d’experts, le cinquième, de personnalités qualifiées sur le même modèle que le Haut Conseil à la Vie Associative (HCVA) ».
Soit un organisme constitué d’un cheval de technocratie à la dévotion du marché et d’une demi-alouette d’association !
Les rédactrices du rapport insistent particulièrement sur l’articulation entre cette proposition 33 et la proposition 35 « d’approfondir la pertinence du développement des « fondations territoriales » qui deviendrait le pivot des politiques locales, « source d’informations proche du terrain » et « un interlocuteur clairement identifié pour les fondations, associations, entreprises, collectivité et l’instance évoquée plus haut » (l’organisme a 5 collèges dont 1 comportant des associations). Cette proposition ainsi présentée comme indispensable et proche du terrain est parfaitement conforme aux politiques néolibérales de tout privatiser et mettre sous la coupe des entreprises qui en apportant les financements domineraient ces fondations. Elle est dans le prolongement logique des contre-réformes sur les services publics et sur les réorganisations de l’administration (projet CAP 2022, France service[2]…), elle en est le complément indispensable de contrôle de la société civile par les grandes entreprises multinationales.
Enfin dans la méthode de travail, il est à remarquer que les personnes et organisations consultées par les deux rapporteuses, sont presque toutes des dirigeants de grandes fondations d’entreprises multinationales et des administrations, du côté association seul le Mouvement associatif a été auditionné, encore un cheval de technocratie et de thuriféraires du marché et une-demie alouette d’association.
Le Collectif des associations citoyennes réaffirme que :
a) La philanthropie est fille du capitalisme ainsi que le note l’économiste Zoltan Acs dans son ouvrage « Why philanthropy matters », publié en 2013, selon ses initiateurs modernes de la fin du 19ème siècle (Rockfeller et Carnégie), elle avait aussi pour but de contourner le suffrage universel[3].
b) Que le « philanthro-capitalisme que propose le rapport sur la philanthropie à la française va encore aggraver la situation des associations, notamment dans cette période de crise économique et sociale suite à la crise sanitaire car les dons, qui ont tendance à diminuer ces dernières années, vont encore chuter.
c) Réitère sa demande d’un plan associatif à la hauteur des besoins, avec dans l’immédiat la création d’un fonds associatif d’urgence d’un milliard d’euros.
d) La philanthropie, le mécénat, les dons, les bénévoles, ne remplaceront pas l’action de la puissance publique ni les politiques publiques dans le financement des associations et de l’intérêt général. Toutes les études démontrent que le niveau de financement associatif par les fondations et les dons stagne depuis des années entre 3 et 5% du budget consolidé des associations.
e) La subvention publique reste et demeurera le mode de financement le mieux adapté au monde associatif. Avec 23 millions de bénévoles actifs comme le fait remarqué le rapport, les associations représentent une large part des citoyens qui payent leurs impôts, il est donc normal et juste qu’une part de ces impôts reviennent aux associations qui travaillent pour l’intérêt général et le bien commun.
f) Le financement qu’apportent les fondations se fait sur appels à projets ou appels d’offre, ce qui poussent les associations vers le marché, les met en concurrence les unes avec les autres, sans pour autant garantir la mise en œuvre d’actions de qualité, et avec des entreprises privées qui en profitent pour faire du dumping économique et social. Cette méthode éloigne aussi les associations de leur objet initial, les rend dépendantes de leurs financeurs et les prive de leur capacité d’initiative, de leur indépendance et de leur liberté. Cela favorise aussi celles qui communiquent le mieux…
g) La philanthropie repose sur la charité qui n’a jamais permis d’éradiquer ni la pauvreté, ni les discriminations et procède de la remise en cause des solidarités qui doivent fonder les politiques publiques.
h) Le gouvernement au lieu de pousser les associations à se financer par la philanthropie et le mécénat, devrait s’appliquer à faire payer les impôts dus par les multinationales, et à lutter contre l’évasion et l’optimisation fiscale, ce qui permettrait de dégager les crédits nécessaires pour financer à tous les niveaux les associations.
i) La remarque de Paul Lafargue, à propos de la philanthropie à la fin du 19ème siècle : « Voler en grand et restituer en petit, c’est la philanthropie » est encore plus d’actualité aujourd’hui qu’hier.
Paris le 30 juin 2020
Contact presse : Jean Claude BOUAL – jean.claude.boual[arobase]wanadoo.fr
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[1] Sarah EL HAÏRY, députée de Loire-Atlantique et Naïma MOUTCHOU, députée du Val-de-Marne
[2] Voir à ce sujet « CAP 2022 : les multinationales à l’assaut de l’État », Jean Claude Boual, du Collectif des associations citoyennes, éditions Associations citoyennes septembre 2018.
[3] Voir « A quoi sert la philanthropie ? Richesse privée, action publique ou mobilisation citoyenne », Didier Minot, Éditions Charles Léopold Mayer, octobre 2019.
Pour aller plus loin :
– Le rapport parlementaire sur la philanthropie avec ses 35 propositions pour développer les petites et grandes générosités en France