France Services, nouveau service public ou placebo de service public ?
Dans le cadre d’un groupe de travail avec la Convergence des Services publics, Jean Claude Boual, administrateur du CAC, a co-produit ce texte analysant la mise en place de « France Service » par le gouvernement.
13 décembre 2019
Par circulaire du 1er juillet 2019, le Premier ministre annonçait la création d’un nouveau service au public : « France service ».
La circulaire commence ainsi : « Le président de la République a décidé le 25 avril 2019 la mise en place d’un réseau France service qui doit permettre à nos concitoyens de procéder aux principales démarches administratives du quotidien au plus près du terrain. » A noter qu’il s’agit d’une décision du « prince », sans concertation ni des citoyens, ni des usagers, ni des services administratifs, ni des personnels des administrations concernées. Mais, nous dit-on, c’est la suite du « grand débat » post « gilets jaunes ».
Le texte se poursuit par : « Le réseau France Services poursuit trois objectifs :
- une plus grande accessibilité des services publics au travers d’accueils physiques polyvalents – les maisons France Services – ou des services publics itinérants, les Bus France Services ;
- une plus grande simplicité des démarches administratives avec le regroupement en un même lieu, physique ou itinérant, des services de l’État, des opérateurs et des collectivités territoriales afin de lutter contre l’errance administrative et d’apporter aux citoyens une réponse sur place sans avoir à les diriger vers un autre guichet ;
- une qualité de service substantiellement renforcée avec la mise en place d’un plan de formation polyvalent et la définition d’un panier[1] de services homogène dans l’ensemble du réseau France Services. »
Il s’agit d’après le Premier ministre « d’améliorer » l’accès aux démarches administratives, dans des lieux où les services publics ont disparu, et de créer un nouveau service. Toutefois, avant d’analyser cette proposition il convient d’examiner pourquoi, les services publics ont disparu de beaucoup de territoires.
La désertification des services publics.
Depuis des années les gouvernements successifs « réorganisent » les administrations de l’État, en supprimant des postes de fonctionnaires, diminuant les moyens des services, en les regroupant pour faire des économies, dans des services de plus en plus exsangues, sous la seule responsabilité des préfets. Souvenons-nous de la « deuxième décentralisation », par Jean-Pierre Raffarin en 2004, qui a désorganisé tous les services extérieurs de l’État existants encore, puis de la RGPP (Révision générale des politiques publiques) et la Réforme de l’administration de l’État (REAT), sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, de la MAP (Modernisation de l’action publique) lors du quinquennat de François Hollande, puis de CAP 2022 actuellement en cours d’application avec Emmanuel Macron.
Toute cette période est marquée aussi par la fermeture de nombreux services publics dans tout le pays, à la campagne comme en ville ; fermeture de lits d’hôpitaux, de maternité, d’hôpitaux aussi, fermeture de perceptions et de centres d’impôt, de bureaux de poste, d’écoles, de guichets et boutiques SNCF, ainsi que de lignes de chemin de fer, disparition des Directions Départementales de l’Équipement (DDE), et de beaucoup de leurs subdivisions dans mains de départements suite à leur transferts.
L’utilisation du numérique par le gouvernement, afin de faire des économies de fonctionnement et de personnel a aussi considérablement dégradé la qualité des services et parfois leur accès comme dans le cas des « cartes grises » automobile. En plus cette « dématérialisation » à outrance, et qui se poursuit, a certes facilité dans certains cas l’accès à certains services, mais dans la mesure où elle n’est pas accompagnée par le maintien de présence humaine, exclue une grande partie de la population (environ un quart), soit parce-qu’elle n’a pas accès au réseau, les personnes âgées, les analphabètes du numérique (20% de la population de tout âge), les personnes sans domicile, etc.
A ces dispositions, s’ajoutent la dégradation des conditions de travail des fonctionnaires et agents de la fonction publique, le blocage de leurs rémunérations depuis des années, si bien qu’aujourd’hui celle-ci sont si basses qu’il est parfois difficile de recruter, comme dans l’Éducation nationale ou les hôpitaux. Mais cette situation est vraie aussi d’autres services publics comme la RATP ou la SNCF.
Ces politiques ont fait l’objet de luttes nombreuses, massives et longues de la part des citoyens et résidents, pour s’opposer à la désertification des services publics sur tous les territoires, aussi bien ruraux qu’urbains. Elles sont un des motifs de la mobilisation des « gilets jaunes », qui dans beaucoup de cas se poursuit (hôpitaux, maternités…etc.), car elles sont un des motifs essentiels de la dégradation de la qualité de vie et ont des conséquences négatives sur les populations.
Dans ces conditions, après avoir désertifié, remettre un peu de services, en raison des luttes, peut apparaître comme une amélioration de la situation. Ce n’est pas complètement faux, mais est-ce que ça correspond aux besoins des populations, à leurs demandes et à la revitalisation des territoires pour leur développement et leur qualité de vie ?
France Service : C’est quoi ?
Il s’agit d’une refonte complète du réseau des Maisons de services au public (MSAP), transformées progressivement en maison France Services, pour avoir en 2022, au moins une de ces maisons par canton. France services est pilotée par le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET, qui au 1er janvier 2020 intègre l’Agence des territoires) et animée par la banque des territoires de la caisse des Dépôts, en « collaboration » avec le Ministère de l’Intérieur (ce sont les préfets qui labelliseront les maisons et seront les délégués territoriaux de l’Agence des territoires), le Ministère de la Justice, l’Assurance maladie, l’Assurance retraite, Association familiale, Pôle emploi, La Mutualité Sociale Agricole (MSA) et la Poste.
Cette transformation se fait sur la base d’une « Charte nationale d’engagement France services », avec un préambule qui reprend les objectifs définis par la circulaire du Premier ministre, reproduit en début de texte, et cinq engagements.
- Premier engagement : «Œuvrer pour un service de qualité », soit, un « Socle commun de la qualité de service au public » avec « En front office », la présence de deux personnes (qui peuvent être à temps partiel) délivrant un accueil physique », réponse en 72h en cas d’absence, « une présence dématérialisée (vidéo-conférence, chatbox, chatbot, etc.), et en « back office », un correspondant de chaque structure participant à la maison ; l’assurance d’un accès au numérique et la promotion de l’inclusion numérique, lutter contre « l’illectronisme », lutter contre le non-recours aux droits ; une accessibilité à tous les publics, avec une qualité de l’accueil, la confidentialité et l’échanges de bonnes pratiques.
- Deuxième engagement : « Œuvrer pour un services de proximité », cohérence avec le schéma départemental d’amélioration et d’accessibilité des services publics prévue par la loi NOTRe, et principe de cohérence territoriale de l’offre de services, itinérance (permanences délocalisées, maisons mobiles, services auprès des personnes, etc.), horaires d’ouverture (au minimum 24 heures par semaine sur 5 jours, avec possibilité d’ouverture en soirée et, ou le week-end), promotion des initiatives locales, et des « Maisons des saisonnalités », en montagne et zones touristiques.
- Troisième engagement : « Œuvrer pour un service mutualisé », avec « Reporting et évaluation de la qualité et de l’efficience », la « Transparence sur les résultats de qualité de service », l’ « Accès aux plateformes des opérateurs et services partenaires » et la création de « Comités de pilotages » composés des partenaires, du représentant de la préfecture. Ce comité se réuni au moins une fois par an à la demande du porteur de la structure France Service. Peuvent aussi y participer des représentants du conseil départemental, de la direction départementale de la cohésion sociale, de l’unité territoriale ARS, du conseil départemental de l’accès au droit, de l’union départementale des conseils départementaux de la cohésion sociale, de la direction départementale des finances publiques, et tout acteur que le référant accessibilité de la préfecture jugera utile d’inviter. Et enfin, « Des usagers peuvent également être conviés à ces comités annuels»[2]. Ce Comité met en place des processus de travail collectif réguliers et fixe les axes de progrès à moyen terme pour renforcer l’action de France services.
- Quatrième engagement : «Former les agents France Services », les agents se doivent d’être polyvalents, une formation leur sera donc fournie pour cela. C’est le Centre National de la Fonction Publique territoriale (CNFPT) qui est chargé de cette formation. Cette formation est obligatoire, elle pourra prendre la forme de MOOC[3].
- Cinquième engagement : « Valoriser France Services», en faisant des « animations territoriales », avec une signalétique cohérente qui doit être adaptée aux personnes « en situation de handicap, d’illettrisme ou allophones ».
Financement : Chaque structure sera financée forfaitairement à hauteur de 30 000 euros/an. Pour les structures portées par des collectivités ou des associations, ce montant est réparti entre le fonds d’aménagement et de développement du territoire (FNADT).
Comment animer une maison, avec deux personnes avec seulement 30 000€/an, jusqu’à la fin 2021 ! Après ? Les collectivités et associations porteuses de la structure seront obligées d’augmenter de façon importante cette somme si elles veulent que la maison fonctionne dans de bonnes conditions.
Par ailleurs, la banque des territoires de la CDC investira d’ici 2022, 30 millions d’euros. Sur cette enveloppe, pour assurer le déploiement de France Services et la « montée en gamme des structures postales », 17 millions seront alloués à la poste, 10 millions seront consacrés à l’animation globale du réseau et 3 millions au déploiement de Bus de France Services.
La modestie des sommes allouées à cette « politique publique », ainsi que leur répartition, laisse entendre que le gouvernement ne compte pas trop sur ces maisons pour améliorer réellement, l’accès aux services publics administratifs. Suite au 4ème Comité interministériel du 15 novembre 2019 « environs 400 structures France Services ont été sélectionnées pour une ouverture en janvier 2020 ».
France Services n’est pas née brusquement, c’est la suite d’une longue entreprise de colmatage de la disparition des services publics sur les territoires depuis une trentaine d’années. La DATAR, a produit un historique de cette démarche depuis la mise en place des premières expérimentations en 1992/1993, avec les « Points Publics en milieu rural ». Comme parfois, l’administration en voulant démontrer la pertinence des politiques qu’elle est amenée à conduire, montre plutôt leur insuffisance ou leur échec, ou leur inanité et fait apparaître les objectifs réels pas toujours explicités, nous reproduisons ici cette étude.
« Un point historique
1992 – 1993 : Premières expérimentations
Points Publics en milieu rural (PPMR) et des plates-formes d’insertion sociale et professionnelle dans les quartiers
25 juin 1999 : Maison de service public
Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (dite « loi Voynet »).
La Loi encourage la mise en commun des moyens pour assurer l’accessibilité et la qualité des services publics sur le territoire et les rapprocher des citoyens. L’idée d’un groupement des services publics est avancée dès lors que s’exprime une demande des usagers. Des maisons des services publics peuvent ainsi voir le jour, l’État étant susceptible de rembourser tout ou partie des sommes engagées par les collectivités dans ce cadre, dans les ZUS ou les ZRR.
12 avril 2000 : Une définition de la maison de service public
La loi relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations précise la définition de la maison de services publics.
TITRE IV : Dispositions relatives aux maisons des services publics – Articles 27 à 30 ».
Décembre 2003 : Une étude DATAR sur les « maisons de service » public dans 23 pays européens
2006 : Relais de services publics
Les Relais Services Publics, c’est la possibilité d’être accueilli par un même agent pour obtenir des informations et effectuer des démarches administratives relevant de plusieurs administrations ou organismes publics.
Selon les situations locales, l’usager pourra bénéficier d’un accès à Internet, à une ligne téléphonique et/ou à un visio-guichet, qu’il pourra utiliser seul ou avec l’agent du Relais Services Publics. Le Relais Services Publics peut être installé dans les locaux d’une communauté de communes, à la mairie, à la sous-préfecture, dans le local d’un organisme partenaire ou d’une association. Le Relais Services Publics est animé par un/des agents spécialement formés. (Extrait du document sur les Relais de services publics – novembre 2006) ».
28 septembre 2010 – Partenariat « Plus de service public »
Signature d’un protocole d’accord :
- Neuf opérateurs nationaux de services: La Poste, EDF, la SNCF, GDF Suez, Pôle emploi, l’Assurance Maladie, la Caisse Nationale d’Allocations Familiales, la MSA et l’Assurance Retraite
- La Caisse des Dépôts et Consignations et l’union Nationale des PIMMS (points information médiation multiservices)
Objectif
- démultiplier l’offre de services accessibles dans des lieux d’accueil uniques : plus de services au public dans plus de points d’accueil.
- 60 nouveaux lieux d’accueil seront ouverts et 300 autres sites bénéficieront d’une offre de services complétée
- Expérimentation sur 22 départements métropolitains, un par région, et une région d’Outre-Mer
- Cinq engagements pris par les signataires
- Multiplier les points d’accès aux services en zone rurale
- Simplifier l’accès et l’offre de services au public par l’usage des nouvelles technologies
- Mieux accompagner et conseiller les usagers
- Clarifier l’offre de services proposée au public
- Accompagner les projets au niveau local et évaluer en vue de la généralisation ».
Avril 2013 : Maisons de service au public
Projet de loi de mobilisation des régions pour la croissance et l’emploi et de promotion de l’égalité des territoires
CHAPITRE II – L’amélioration de l’accessibilité des services à la population
Article 20 (extrait)
- – La loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations est ainsi modifiée :
1° Le titre IV est renommé : « Dispositions relatives aux maisons de services au public » ; 2° L’article 27 est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. 27. – Les maisons de services au public ont pour objet d’améliorer l’accessibilité et la qualité des services, en milieu rural et urbain, pour tous les publics.
« Elles peuvent rassembler des services publics relevant de l’Etat, des collectivités territoriales ou de leurs groupements, d’organismes nationaux ou locaux chargés d’une mission de service public, ainsi que des services privés.
Les 3 lois, dont celle-ci, d’avril 2013 seront retirées et remplacées par les lois Maptam, fusion des régions et loi NOTRe.
4 novembre 2013 : 1000 Maisons de services au public en 2017
Pérenniser et généraliser les MSAP suite au dispositif « Plus de service public »
Objectif du gouvernement : 1000 MSAP en 2017
Financement :
- 50 % : Etat et opérateurs via la création d’un fonds dédiés prévu dans le projet de loi d’avril 2013
- 50 % : collectivités locales
28 novembre 2013 : Rencontre des organisations syndicales avec la Ministre de l’Environnement, des Transports et du Logement (C. Duflot)
Objectif : une maison de service au public par canton (moyenne pas implantation mécanique)
Outil : le vidéo guichet
Existant : 320 maisons de service au public
Dispositif conçu à l’origine pour les territoires ruraux – Extension prévue aux quartiers de la politique de la ville ou à des zones périurbaines.
Bilan des 320 maisons de service au public existantes : retour d’expérience fin 2013, à priori bilan très positif – Nouvelle réunion prévue début 2014
Accueil général très positif des OS – Pas de divergence d’approches et questions se recoupant.
Seule, la CGT a émis une position plus réservée
Cette réunion n’a jamais eu de suite.
Juin 2014 – Un guide pour les maisons de service au public
5 février 2015 – Intervention de la ministre du Logement, de l’Égalité des Territoires et de la ruralité (S. Pinel) devant le Comité stratégique national de la cellule d’animation des Maisons de services au public.
Constitution MSAP
- une structure porteuse (collectivité locale, association, groupement d’intérêt public)
- plusieurs opérateurs, en moyenne 7 par Les opérateurs peuvent être nationaux ou locaux, chargés d’une mission de service public, mais aussi de services privés.
- Articule : présence humaine et outils numérique
Objectif
- réduire les inégalités, sociales et territoriales, d’accès aux services pour la population des territoires ruraux et périurbains, en mettant en place un maillage pertinent
- organiser la mutualisation des services pour faciliter les démarches des usagers, particuliers comme
- au service des usagers : donner de l’information transversale de premier niveau à l’accompagnement de l’usager sur des démarches spécifiques
- 1 000 maisons d’ici 2017
Bilan au 31 décembre 2014 : 363 MSAP fonctionnent dans 67 départements métropolitains
Une cellule d’animation montée en partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC)
Les opérateurs porteurs de l’accord national sont :
- Pôle emploi,
- la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF),
- la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS),
- la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole CMSA,
- la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV),
- EDF,
- la SNCF,
- GDF-Suez,
13 mars 2015 : Comité interministériel aux ruralités MSAP et services publics « itinérants »
Priorité 1 : Garantir à tous l’accès aux services
1 000 MAISONS DE SERVICES AU PUBLIC POUR MIEUX « RENDRE SERVICE
Mesure 6 – Ouvrir 1 000 maisons de services au public dès la fin 2016 grâce au partenariat avec La Poste
Ambition de créer des lieux d’accueil regroupant de nombreux services essentiels de proximité
Permettre à chaque citoyen de disposer d’une gamme élargie de service, de trouver écoute, aide et accompagnement pour leurs démarches de la vie quotidienne
MSAP : visent à anticiper et prévoir l’armature des services de demain à l’échelle de chaque département.
Mesure 7 – Doubler le financement national des maisons de service au public par la création d’un fonds entre neuf opérateurs de services
Partenariat financier entre neuf opérateurs et l’État pour créer un fonds de soutien des opérateurs, à hauteur de l’effort financier déjà engagé par l’État (21 millions d’euros de fonds national d’aménagement et de développement du territoire sur la période 2015-2017).
Dotation du fonds : de plus de 21 millions d’euros sur la période 2015-2017.
Mesure 8 – Encourager les services publics « itinérants »
Réflexion du gouvernement sur une nouvelle forme d’offre de service qui proposerait de manière périodique aux habitants qui en sont éloignés un panel de services publics essentiels, complémentaires aux MSAP.
Une mission confiée au printemps à un parlementaire pour définir les conditions de développement de ces nouvelles manières de rendre le service public.
24 juin 2015 – MASP : partenariat avec La Poste
Transformation de 500 bureaux en zone rurale et en zone de montagne en MSAP
Profil des bureaux proposés
- 69 clients par jour
- 50 m2 d’accueil du public
- 29 h d’ouverture hebdomadaire
Bilan MSAP 31 décembre 2014
- 363 MSAP labellisées dans 9 régions et 67 départements métropolitains
- Les 5 départements les plus équipés : Vosges (21) – Saône et Loire (16) – Nièvre (15) – Ardennes (14) – Savoie (14)
Juillet 2015 – Maisons de service au public – Loi NOTRe
La loi qui vient d’être votée, le 16 juillet 2015, reprend les éléments de la loi d’avril 2013.
Elle transforme les « maisons de service public » en « maisons de services au public »
Article 100
- –La loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations est ainsi modifiée :
1° À la fin de l’intitulé du titre IV, les mots : « des services publics » sont remplacés par les mots : « de services au public » ;
2° L’article 27 est ainsi rédigé :
« Art. 27. – Les maisons de services au public ont pour objet d’améliorer l’accessibilité et la qualité des services, en milieu rural et urbain, pour tous les publics.
« Elles peuvent rassembler des services publics relevant de l’État, des collectivités territoriales ou de leurs groupements, d’organismes nationaux ou locaux chargés d’une mission de service public ainsi que les services nécessaires à la satisfaction des besoins de la population.
« Pour chaque maison, une convention-cadre conclue par les participants mentionnés au deuxième alinéa définit les services rendus aux usagers, la zone dans laquelle la maison de services au public exerce son activité, les missions qui y sont assurées et les prestations qu’elle peut délivrer, dans le respect des prescriptions du schéma d’amélioration de l’accessibilité des services au public.
« Cette convention prévoit également les conditions dans lesquelles les personnels relevant des personnes morales qui y sont parties exercent leurs fonctions. Elle règle les conditions de financement et les modalités de fonctionnement de la maison de services au public ainsi que les modalités d’accès aux services des personnes ayant des difficultés pour se déplacer.
« L’offre de services peut être organisée de manière itinérante ou selon des modes d’accès dématérialisés.
« Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État. ».
Fin de l’historique.
Mille-neuf-cent-quatre-vingt-douze/deux-mille-dix-neuf, vingt-huit ans d’une politique de recherche de dispositifs pour essayer de minimiser la destruction progressive des services publics administratifs dans l’ensemble du pays, vingt-huit ans de propagande et vingt-huit ans de dégradation des services rendus à la population, vingt-huit ans de non réponse aux besoins de la population. N’oublions pas que la disparition des services publics, est un des principaux motifs de mobilisation des « gilets jaunes » ces derniers mois.
Vingt-huit ans, pour passer de la notion de service public, à celle de service au public, puis à celle de services tout court.
L’abandon de la notion de « service public » pour celle de « services » laisse entrevoir les évolutions futures : privatisation de l’accès aux démarches administratives et paiement de celles-ci (cf. les cartes grises[4]), et démarches administratives et informations entre les mains des GAFAM, qui avec la numérisation s’accapareront de toutes les données de chacun. Celles-ci seront commercialisées pour le plus grand profit des entreprises détentrices, et leur permettra de contrôler les actes de chacun et la société, on voit se profiler un « big-brother » par et pour les GAFAM, si les luttes n’y font pas échec.
Le processus est « en marche », Emmanuel Macron a décidé d’ouvrir toutes les données de la sécurité sociale au public sous prétexte de recherche en intelligence artificielle dans la santé. Pour ce faire, le gouvernement propose le déploiement d’une plate-forme nommée en bon français : « Health Data Hub » (HDH) ! Il s’agit des données des centres hospitaliers, des pharmacies, des dossiers médicaux individuels, et des données de recherche de divers registres. S’agissant de données individuelles, elles seront anonymisées. Mais les recoupements de dossier permettent avec de bons algorithmes, de retrouver les noms de chacun sans grandes difficultés. Nous pouvons facilement imaginer l’emploi de ces données par les compagnies d’assurances avant de souscrire un contrat d’assurance, d’un crédit pour les banques, d’une embauche pour le patronat ou même de la police lors d’une arrestation par exemple. Il est prévu que ces données soient stockées chez Microsoft Azure cloud public, de la multinationale américaine Microsoft.
Le gouvernement américain a fait adopter par le congrès en 2018, une loi nommée Cloud Act, qui permet à la justice américaine d’avoir accès aux données stockées, chez une entreprise américaine, dans les pays tiers. En clair, toutes les données santé des français seront accessibles à l’administration américaine, services de polices, services d’espionnage, etc. compris !
On pourrait penser, quel rapport entre la justice américaine, la CIA, le FBI ou la NSA et France Services ? Au moins deux, premièrement il s’agit bien d’un processus de destruction des services publics entrepris par une démarche politique qui consiste non seulement à privatiser ces services, mais à les mettre à la disposition et entre les mains des multinationales qui visent au contrôle total de nos sociétés ; deuxièmement, des démarches faites dans une maison France Services se retrouveront sur le HDH, et donc accessibles au GAFAM, aux assureurs, aux entreprises, à la police et à l’administration américaine, par le miracle des algorithmes.
Que faire ? Plusieurs axes d’interventions s’imposent :
1) Analyser et informer sur les objectifs et les conséquences de cette politique.
Si les conséquences de la désertification des services publics se font sentir cruellement pour les populations, il est souvent difficile d’en saisir toute la portée qui, comme nous l’avons souligné, va bien plus loin que la privatisation. Tout est public dans la démarche du gouvernement, il « suffit » de lire le rapport CAP 2022 et les nombreuses lois adoptées notamment depuis une quinzaine d’années[5]. Mais comme cela n’est pas facile, il est indispensable que les associations, les syndicats fassent ce travail d’information et d’éducation populaire sur une matière austère et peu connue qu’est l’organisation administrativo-politique de notre pays.
2) Reprendre l’offensive sur les services publics.
Le gouvernement, les multinationales, la presse mainstream, n’arrêtent pas de nous abreuver de « vérités » comme quoi les politiques de « réforme » des services publics sont indispensables, qu’il n’y a pas d’autre voie que la privatisation et la mise en concurrence en raison des déficits publics et de la concurrence due à la mondialisation, et que leur disparition est inéluctable. Cette propagande a, hélas, des effets dans toutes les strates de la population. Le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) a adopté le 23 octobre 2019, un avis « les métropoles : apports et limites pour les territoires »[6], dans lequel un court paragraphe et une proposition sont consacrés au service public. Nous le reproduisons, car il est en résonance avec la note de bas de page n°1 :
« Le rôle essentiel des services publics
L’accessibilité des services publics et des services au public participe de l’attractivité des territoires pour les personnes et pour les entreprises.
La pauvreté et les contrastes sociaux considérables dans les métropoles ainsi que la présence au sein des plus grandes aires urbaines de l’hexagone, de nombreux quartiers relevant de la politique de la ville, rendent particulièrement nécessaire d’y disposer de services accessibles et de qualité.
Des besoins importants en services publics et en services au public existent aussi dans les territoires périurbains et ruraux, qu’ils soient situés dans ou en dehors des métropoles.
Le plan France Services, dans la volonté de faire exister des maisons de services publics (MFS) plus efficaces que l’ancienne version (MSAP), semble aller dans le bon sens mais ne répond que partiellement aux besoins.
Préconisation 7 : Renforcer et améliorer l’accès aux services publics via un moratoire sur leur fermeture et instaurer un « panier » minimum de services publics pour toutes et tous. »
Pas très offensive la proposition « d’un panier minimum » pour répondre aux besoins. Mettre en avant cette notion, c’est déjà accepter des services publics au rabais, voire accepter de choisir entre les services publics ceux qui doivent subsister (dans un premier temps?) sur le territoire et ceux qui peuvent disparaître.
3) Se battre pied à pied contre toute fermeture de service public, quel qu’il soit.
C’est souvent le cas dans beaucoup de villes, avec la création de collectifs qui s’opposent aux fermetures. La lutte en décembre 2019, contre la réforme des retraites (en fait contre la destruction du service public de la protection sociale), montre par sa puissance, non seulement l’attachement des français à son système de protection sociale, mais aussi sa capacité de résistance, de mobilisation et de propositions aux politiques ultralibérales.
De même, la poursuite de la mobilisation des « gilets jaunes », même avec moins de participants, par sa longueur et les revendications posées, dont le retour des services publics sur les territoires, démontre, la vitalité et l’importance pour la population d’avoir des services publics présents et accessibles proches de chez eux soi, et pas à 30 ou 40 km.
4) Poursuivre ces luttes par des propositions et des actions pour imposer la régénérescence et la création de services publics.
Les besoins de services publics sont réels dans tous les domaines vitaux pour la société, santé, école, transports, énergie, écologie, environnement, communications (internet), information. Ces services pour répondre à leurs objectifs doivent être définis et gérés avec les citoyens/usagers, l’articulation entre biens communs et service public doit être recherchée dans cet objectif. Les services publics sont un des fondements de la démocratie et de l’effectivité de la mise en œuvre des droits fondamentaux et des libertés individuelles et collectives.
Il est aujourd’hui indispensable de créer de nouveaux services publics notamment dans le numérique (internet devrait être un service public avec accès gratuit, sans abonnement), dans l’écologie (aucune transition énergétique ou écologique se fera sous l’action des multinationales qui sont la première cause des dérèglements climatiques), et aussi au niveau européen pour construire une Europe sociale, écologique, démocratique.
5) S’approprier, l’intelligence artificielle et le numérique, comme bien commun.
Les conséquences de la numérisation sur la société et sur nos modes de vie sont trop importantes et trop rapides pour laisser les GAFAM en disposer à leur guise. Les États s’avèrent incapables de les réguler, et ne font pas preuve de volonté politique pour cela. Au contraire, plus la technologie se développe, plus ils se mettent entre les mains de ces multinationales comme le prouve HDH. Beaucoup d’initiatives sont développées -logiciel libre, plateformes alternatives etc.- dans la société civile pour échapper à cette emprise. Le développement de ce mouvement dépend aussi de l’engagement des organisations de la société civile et des citoyens.
Le 13 décembre 2019
Jean Claude Boual
[1] Souligné par nous, voir pourquoi page 10, extrait de l’Avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE), « Les métropoles: apports et limites pour les territoires » du 23 octobre 2018.
[2] Souligné par nous.
[3] Les MOOC sont des cours accessibles par internet.
[4] Le gouvernement a fermé tous les guichets cartes grises des préfectures, pour les remplacer par un unique accès par internet. Le logiciel « grand public » ne fonctionne pas, les personnes qui vendent ou achètent un véhicule à un particulier, ne peuvent donc pas effectuer les démarches nécessaires. Résultat, une flopée d’officines se sont créés et font, moyennant rétribution, les démarches à votre place.
[5] Voir « CAP 2022 : Les multinationales à l’assaut de l’État », par Jean Claude Boual, Collectif des associations citoyennes, septembre 2018.
[6] https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2019/2019_24_metropoles_territoires.pdf