Proposition N°3 : Modifier les Parcours Emploi Compétences, pour stopper le vaste plan social
Propositions du Collectif des associations citoyennes dans le cadre de la concertation
En matière de financement et d’emploi
Face à l’indignation suscitée par la suppression brutale des emplois aidés, le Premier ministre a annoncé une concertation avec le secteur associatif afin de fonder « une politique ambitieuse de la vie associative ». Le CAC était invité pour la première fois depuis plusieurs années à faire part de ses analyses et de ses propositions. Voici une des propositions qu’a défendues le CAC lors de cette concertation en matière de financement et d’emplois. Cette proposition est maintenant a approfondir collectivement, ce qui nécessitera certainement plusieurs chantiers de travail.
Proposition N°3 : Modifier les Parcours Emploi Compétences, pour stopper le vaste plan social
Rappelons que les contrats aidés ne sont pas une solution satisfaisante à long terme, car les activités associatives nécessaires à la société doivent être assurées par des emplois stables, respectant le code du travail. Mais dans l’immédiat, en l’absence d’une stabilisation des subventions publiques, leur suppression a des conséquences désastreuses, comme vient de le souligner le Sénat dans son rapport du 21 février 2018.
Mme Muriel Pénicaud a publié le 11 janvier 2018, toujours sans concertation ni évaluation préalable, une circulaire qui remplace les contrats aidés par les Parcours Emploi Compétences (PEC). Ceux-ci prolongent et amplifient les effets désastreux de la baisse des emplois aidés.
Le vaste plan social invisible se poursuit
Le vaste plan social qui se poursuit est invisible sur le terrain du fait de la dispersion des emplois supprimés, mais il devient visible au niveau macro-économique. L’INSEE a dénombré 45 000 nouveaux chômeurs principalement du fait de la suppression des contrats aidés depuis l’été 2017. L’OFCE, de son côté, estime que la diminution de l’enveloppe des contrats aidés au second semestre 2017 est l’un des 2 facteurs qui expliquent le maintien du chômage en 2017 alors que la croissance a été de 1,9 % et que le chômage régresse dans les autres pays. Au total, 144 000 emplois associatifs auront été supprimés en 2 ans, la plupart des personnes ainsi évincées de l’emploi n’ayant d’autre choix que de retourner au RSA ou à Pôle Emploi.
Au-delà des chiffres, ce sont autant de souffrances et de dignités perdues. De multiples services ne sont plus rendus, des populations sont délaissées, de multiples territoires sont en difficulté. L’objectif du gouvernement semble être de gérer à moindre coût les exclus d’un système qui pratique par ailleurs à haute dose le darwinisme social. On fait un pas de plus vers le « social low cost ».
136 000 contrats et non 200 000, des solutions de remplacement insignifiantes
Sur les 200 000 parcours prévus dans la loi de finances, 30 500 sont fléchés pour l’accompagnement des élèves en situation de handicap dans les établissements scolaires. Sur les 169 500 restants, une réserve de précaution de 3 % est appliquée, ramenant leur nombre à 158 000, dont 22 000 sont affectés à l’outre-mer. Par conséquent, le volume attribué au territoire métropolitain est de 136 000. Les priorités affichées il y a 6 mois, face aux protestations, en faveur des zones rurales et des situations d’urgence disparaissent. Ce volume est à comparer au nombre de contrats aidés employés en 2016 par le seul secteur de l’urgence sanitaire et sociale (environ 90 000) jugées prioritaires. De plus, certains publics sont censés « faire l’objet d’une attention particulière » comme les travailleurs handicapés et les résidents des quartiers « politique de la ville », pour lesquelles sont réservés 13 % des parcours. Or, les alternatives aux contrats aidés sont largement sous dimensionnées : 72 000 emplois d’avenir disparaissent en 2018, mais seulement 15 000 places supplémentaires sont créées en apprentissage. Un grand plan de formation est lancé par le gouvernement, mais le précédent gouvernement a déjà lancé en 2016 le plan « 500 000 formations pour les demandeurs d’emploi ». De ce fait, en 2018 le nombre de formations offertes devrait légèrement baisser.
Des contrats au rabais, rognés par tous les bouts, qui n’atteignent plus leur objectif
Les préfets de région sont chargés de définir de façon adaptée à leur territoire les conditions de prise en charge des contrats. De ce fait,
Les taux de prise en charge diminuent de façon drastique. En PACA, le préfet fixe un taux de prise en charge de 35 % y compris pour les travailleurs handicapés, alors que le taux antérieur était de 80 %.
La durée hebdomadaire des contrats est désormais de 20h, pour des personnes qui travaillent parfois 26h à 35 heures (pour le code du travail, la durée minimum de 24 heures), ce qui laisse une faible capacité d’adaptation en fonction des besoins des bénéficiaires quant à leur insertion et à leur formation.
La durée totale des contrats est en général de 9 mois, non automatiquement reconductible. Cela est incompatible avec la mise en place d’un parcours de formation telle qu’il est défini dans la circulaire.
Les petites et moyennes associations seront disqualifiées par la complexité de procédures
La circulaire peut contenter certains organismes sociaux de taille importante qui demandaient depuis longtemps la mise en place d’un triptyque emploi-formation-accompagnement. Mais une multitude de conditions bureaucratiques accompagne les nouveaux Parcours Emploi Compétences (PEC). Les employeurs sont sélectionnés en fonction de leur capacité à proposer les conditions d’un parcours « insérant », évalué par une batterie de critères et de ratios. Ils doivent s’engager à proposer des actions de formation et d’accompagnement et remplir un dossier CERFA dématérialisé. Le tuteur doit être un salarié depuis plus de 2 ans, excluant les bénévoles d’expérience. Un entretien de sortie est rendu obligatoire avant la fin du contrat pour « maintenir le bénéficiaire dans une posture de recherche active d’emploi ». Pour une petite ou moyenne association, le coût total de ces démarches administratives consomme une part importante du montant de l’aide qui lui est dispensée. Ainsi, comme pour les procédures européennes, la complexification des procédures exclut les petites et moyennes associations, et réserve le bénéfice des PEC à des structures importantes qui bénéficient de services d’encadrement et de gestion spécialisés.
L’inexplicable disparition des emplois d’avenir
Alors qu’il existait un large consensus sur l’intérêt et l’efficacité des emplois d’avenir, ceux-ci ont supprimé de façon inexplicable. Depuis 2012, ils avaient permis à plus de 300 000 jeunes, notamment les moins formés, d’accéder à un emploi assorti d’une formation et d’un accompagnement dans l’emploi, alors que 100 000 jeunes sortent précocement du système scolaire sans qualification. Les emplois d’avenir constituaient un dispositif dans lequel le triptyque « emploi, accompagnement, formation » prenait toute sa place et correspondait à ce que le gouvernement souhaite mettre en place avec les PEC. « Leur suppression paraît incompréhensible, si ce n’est pour des raisons idéologiques (volonté de se démarquer du quinquennat précédent) ou pour des raisons budgétaires, puisque le jeune en emplois d’avenir perçoit un salaire équivalent au SMIC, alors qu’en garantie jeune ne perçoit que 480 € par mois »[1].
L’abandon des seniors, des handicapés, des besoins sociaux des territoires
Précédemment les contrats aidés été automatiquement renouvelé pour les seniors à moins de 60 mois de la retraite, ce qui leur permettait de terminer dignement leur carrière professionnelle, en exerçant leurs compétences et en étant socialement utiles. Le nouveau dispositif laisse sans solution une grande partie des 112 000 seniors bénéficiaires des contrats aidés. Les travailleurs handicapés ne bénéficient d’un PEC que dans la mesure où cela favorise leur emploi « dans le cadre de l’obligation d’emploi qui s’impose aux entreprises de plus de 20 salariés ». Les contrats aidés permettaient aussi de répondre à des besoins sociaux nécessitant des interventions publiques et constituaient ainsi des contrats aidants pour les personnes bénéficiant des services, les associations et les territoires. Le gouvernement déclare compter sur l’innovation sociale pour répondre à ces besoins, notamment à travers les territoires zéro-chômeurs de longue durée. Mais ceux-ci ne permettent pour l’instant de ne prendre en charge qu’une infime partie des chômeurs de longue durée (480 au 31 décembre 2017).
Des alternatives à 10 ans pour un problème massif et immédiat
La stratégie choisie par le gouvernement pour lutter contre le chômage porte essentiellement sur une amélioration de la formation des personnes éloignées de l’emploi. Mais, les réformes structurelles nécessaires à cet objectif ne se feront sentir qu’à long terme. Dans l’immédiat, le taux d’emploi après formation de 60 % pour les 20-29 ans, 42 % pour les 55-59 ans et 28 % pour les 60 ans et plus. Ces chiffres rappellent que la formation ne permettra pas de sortir toutes les personnes du chômage.
Ainsi, les dispositifs valorisés par le gouvernement au détriment des contrats aidés ne permettent pas d’accueillir les anciens bénéficiaires des contrats aidés. Le gouvernement apporte une réponse sous dimensionnée et à long terme à un problème massif et immédiat, laissant les associations démunies pour faire face à l’urgence sociale. Ceci est inacceptable.
Un dispositif guidé par des objectifs de restriction budgétaire
En résumé, tels qu’ils sont définis et mis en œuvre par les préfets, les parcours emplois compétences sont trop courts pour permettre de conclure des parcours de formation, trop limités en nombre d’heures pour être attractifs, trop compliqués pour être utilisables par les petites et moyennes associations. Aucune réponse de remplacement n’est apportée à l’abandon des anciens contrats aidés porteurs d’utilité sociale et de dignité.
Avec toutes ces restrictions, le gouvernement limite à 4500 € par contrat le coût budgétaire, ce qui est très inférieur demain n’emploi d’avenir (11 000 € selon la Cour des Comptes) ou d’un emploi aidé (7 000 €). Ces préoccupations budgétaires transparaissent dans le texte de la circulaire : pas moins de 11 pages sont consacrées à la gestion des enveloppes afin d’éviter tout dérapage. Elles sont également présentes sur le terrain. Par exemple, le préfet de Nouvelle Aquitaine a enjoint le 13 mars aux associations d’atteindre en 2018 l’objectif de 11 500 contrats à signer, « sinon l’État ne s’interdira pas de diminuer le nombre de contrats en 2019 ». Veut-on mettre en place un dispositif inapplicable pour démontrer son inutilité ?
Tout cela est inacceptable, car derrière le besoin de contrats aidés, ce sont des vies humaines, des familles dans le besoin, des personnes qui vivaient avec 800 € par mois et doivent désormais se contenter de 450 €. Les représentants de l’État semblent avoir perdu totalement le sens de l’intérêt général. Tout cela est encore plus inacceptable si on rapproche le montant des sommes économisées (1 milliard d’euros sur 2 ans) des 66 milliards de cadeaux fiscaux et sociaux faits sur la seule année 2018 au profit des entreprises des nantis (voir fiche N°1, p 2).
Les propositions du CAC
Rétablir 100 000 contrats aidés pour répondre aux besoins sociaux
Les emplois aidés permettaient aux associations, dans un contexte de pénurie budgétaire, d’assurer vaille que vaille des services indispensables à la population, dont nul ne conteste l’utilité, qu’il s’agisse de l’action sanitaire et sociale, de l’organisation des activités périscolaires, des métiers du sport et de l’animation, etc. et de répondre à une demande sociale qui augmente. Il est impossible pour le gouvernement d’ignorer purement et simplement cette finalité en se retranchant derrière le cloisonnement des responsabilités ministérielles.
Le rapport sénatorial demande au gouvernement de rétablir 100 000 contrats aidés dès 2018 pour éviter les conséquences désastreuses de leur disparition, en ciblant 50 000 de ces contrats sur les associations de moins de 5 salariés et 50 000 sur les personnes âgées de plus de 57 ans. Le CAC appuie totalement cette demande.
Remettre les contrats emplois compétences en accord avec leurs objectifs
Le CAC demande à la Ministre du travail de réexaminer la durée hebdomadaire, la durée totale et les conditions mises à l’obtention des contrats emplois compétences afin de que ces contrats soient :
– attractifs par rapport au niveau du RSA, ce qui implique une durée hebdomadaire d’au moins 26 heures
– en cohérence avec un objectif de formation, ce qui demande une durée de 2 ans minimums
– accessibles aux petites et moyennes associations, ce qui suppose la possibilité pour des bénévoles d’expériences d’assurer un tutorat, la simplification des mesures administratives, et le rétablissement de climat de confiance.
Réintroduire de la bienveillance
De nombreuses associations se distinguent des employeurs classiques par une attitude de bienveillance à l’égard de salariés qui parfois sont inemployables dans d’autres structures. Beaucoup d’entre elles ont eu à cœur de faire de ces contrats aidés de vrais processus d’emploi et de formation pour les personnes qui en étaient bénéficiaires, en mettant au premier plan les relations personnelles et l’engagement des personnes employées au service du projet associatif. C’est cet état d’esprit qu’il est nécessaire de réintroduire des contrats aidés.
Rétablir 100 000 contrats aidés ferait économiser 200 millions d’€ aux finances publiques
Rétablir les contrats aidés est une opération bénéficiaire pour les finances publiques. Les personnes renvoyées au chômage coûtent en effet plus cher au RSA, cotisations sociales perdues ou assurance-chômage que le coût net des emplois aidés. Un exemple en Alsace : le coût d’un emploi aidé pris en charge à hauteur de 76 % était d’environ 7 800 € par an (650,79 x 12), les cotisations sociales patronales et salariales par poste se chiffraient à environ 4 000 € par an, soit une économie nette de 3 800 €. Si le licenciement se traduit par passage au RSA, l’allocation est de l’ordre de 6 000 € par an. La dépense supplémentaire est de 6 000 – 3 800 = 2 200 € par an. Si la personne reçoit des allocations chômage le coût minimum est de 15 000 € par an, et la perte sèche est beaucoup plus importante, de 15 000 – 3 800 = 12 200 € par an.
Même si ces chiffres varient selon les situations et peuvent prêter à discussion, le principe d’une augmentation des dépenses paraît indiscutable. Ils montrent que cette décision ne procède pas de la nécessité d’économies budgétaires mais de la volonté du gouvernement de faire place nette pour le développement d’activités privées, qui ne reprendront qu’une partie des activités associatives supprimées.
[1] Ce § est une reprise du rapport sénatorial