Du « Parcours emploi compétences » à la « French impact », une régression spectaculaire
Communiqué du 22 janvier 2018
De l’action associative au « Parcours emploi compétences » et à la « French impact », une régression spectaculaire !
Le rapport Borello qui initie la transformation des contrats aidés en des « Parcours Emploi Compétences » ; l’« accélérateur national d’innovation sociale » ; la concertation « pour une politique de vie associative ambitieuse le devenir des associations » : trois démarches du gouvernement qui sont liées.
Suite aux actions associatives de cet automne pour s’opposer à la décision brutale et unilatérale du gouvernement de supprimer les emplois aidés, une « concertation » été ouverte entre celui-ci et des représentants d’associations ou de réseaux associatifs ; « concertation » à laquelle participe le Collectif des associations citoyennes (CAC). Ces actions ont également incité le gouvernement à confier à M. Borello, président du groupe SOS, un rapport sur le devenir des emplois aidés. Parallèlement le gouvernement a initié une réflexion au sein du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (CSESS) sur une politique nationale « d’accélération de l’innovation sociale ». Les associations constituant plus de 80% des structures de l’économie sociale et solidaire, leur avenir -notamment leur mode de financement- se joue pour partie dans l’articulation de ces trois démarches qui ne peuvent être séparées. Toutes les trois relèvent de l’idéologie « start-up nation» visant notamment à développer « l’e-business » dans le monde associatif.
Rappelons en prémisse qu’il existe 1 300 000 associations en France, et que 7 000 d’entre elles concentrent à elles seules la moitié des emplois et des activités économiques. L’avenir du monde associatif ne saurait se réduire à cette minorité. L’engagement associatif, avec ses millions de bénévoles, est fondé sur bien d’autres considérations que le marché : la solidarité, l’entraide, la volonté de vivre ensemble dans la sérénité, et non dans la concurrence de tous contre tous, sont des motivations puissantes à l’engagement associatif et lui donnent tout son sens.
L’accélérateur national d’innovation sociale, le « French impact ».
L’accélérateur doit permettre de « mieux identifier les projets innovants ; mieux financer la croissance des innovations sociales ; mieux expérimenter l’innovation sociale ; mieux mesurer l’impact social des innovations ; mieux accompagner les entreprises »[1]. Pour cela le gouvernement annonce vouloir mobiliser 1 milliard d’euros sur 5 ans, avec des financements publics (Caisse des dépôts, BPI…) et des financements privés (BNP-Paris, INCO, France Active, Crédit coopératif…), avec labellisation. Cette opération débutera avec un appel à candidature en mars 2018 et un « French Impact tour » pour « mobiliser les collectivités et écosystèmes territoriaux ».
Un réseau de « Hackers French IMPACT » sera mis en place qui « aura une logique : OPEN INNOVATION ; OPEN SOURCE ; OPEN DATA », avec « évaluation ». Le « 18 janvier est lancé un appel à projet à sélectionner 10 à 15 entreprises de l’économie sociale et solidaire pionnées de l’Accélérateur ».
Avec cette initiative d’accélérateur d’innovation sociale nous touchons un sommet de la vacuité de la pensée et de la langue de bois franglaise, avec un vide conceptuel assez effarant. En guise d’introduction à la présentation du projet le 18 janvier, plusieurs « serial entrepreneurs » sont venus « pitcher » leur expérience en mettant en avant leur « soft skills » et « gamification », « le rationnel économique des start-up » etc., atteignant des sommets (ou le fond) de la novlangue de notre « modernité » et de la « start-up nation », dont le seul horizon est de devenir « milliardaire » rapidement. Cependant, cette opération de communication ne coûte pas très cher à l’État : 200 millions d’euros par an, payés pour moitié par des partenaires privés et le reste par redéploiement…
Le rapport Borello et la circulaire d’application, publiée simultanément.
Dans son rapport, M.Borello (voir ici) reconnait que « Force est de constater que ces contrats (les contrats aidés) ont servi à combler une réduction des subventions publiques au secteur associatif. (p 27). Les contrats aidés auraient donc été dévoyés de leur objet défini par la loi, et il conviendrait de les rendre à leur vocation[2]. Pour cela il fait 19 recommandations dont les plus emblématiques sont : « développer « l’employeur-abilité » et pour cela sélectionner les employeurs, impliquer plus le « prescripteur » (pôle emploi et équivalents) dans l’évaluation du contrat, créer un fonds d’investissement social, « remplacer les contrats aidés par des « parcours emploi compétences » contenant des obligations précises et contrôlées par l’employeur », cela dans une optique strictement d’employabilité (avec des compétences mais par une formation) sans garantie d’un travail pour le salarié[3]. Les « Contrats à impact social » (version française des « social impact bonds » anglais) sont donnés comme modèle de ce processus.
La circulaire de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail (voir ici) précise la mise en œuvre immédiate de certaines dispositions du rapport. Les contrats aidés : 200 000 votés au budget sont transformés en « Parcours emplois compétences », gérés globalement par les préfets et avec un rôle renforcé du prescripteur et un parcours personnalisé ; contrat pour deux ans maximum mais sans garantie de renouvellement à la fin de la première année. Le taux de pris en charge est réduit à 50% maximum (60% pour l’outre-mer). 30 500 de ces Parcours emploi compétences sont préemptés par l’État pour les besoins de l’Éducation nationale, gérés à part, 22 000 réservés aux territoires ultra-marins. Une « attention particulière » est demandée pour les quartiers « Politique de la ville » et pour les personnes en situation de handicap, mais dans la seule optique d’une réponse à l’obligation d’emploi des entreprises. Les jeunes, pour lesquels les contrats aidés étaient particulièrement utiles, sont renvoyés prioritairement vers des solutions d’alternance, qui n’intéressent que des jeunes scolarisés. Les priorités affichées il y a 4 mois, face aux protestations, en faveur des zones rurales et des situations d’urgence disparaissent.
Une régression à motivations budgétaires : d’importants besoins ne sont plus couverts.
La circulaire de la ministre du travail a été publiée quelques heures après la remise du rapport Borello. Elle traduit une attitude de méfiance systématique, de paternalisme, de méconnaissance du rôle qu’ont joué les contrats aidés.
Beaucoup d’employeurs associatifs avaient déjà développé des démarches de mise en situation professionnelle, couplées avec une formation accompagnement distribuée sur le terrain. Mais ces associations risquent d’être exclues du renouvellement des contrats aidés par l’énorme dispositif bureaucratique qui accompagne les nouveaux parcours emploi compétences, qui de fait réserve ces emplois à des structures importantes disposant d’un service de gestion dédié.
Avec l’échéance des contrats aidés en cours, le nombre de chômeurs et de titulaires du RSA va se multiplier au fil des mois. Déjà, en novembre dernier, l’INSEE a dénombré 45 000 nouveaux chômeurs principalement du fait de la suppression des contrats aidés depuis l’été 2017. Le vaste plan social est donc toujours en cours, dans un silence assourdissant.
Or, malgré le recul des subventions publiques, les associations ont pu répondre à des besoins sociétaux de solidarité, de lien social, de développement culturel, grâce aux contrats aidés. Ces derniers ont permis d’employer des personnes qui n’étaient pas à même de retrouver un emploi sur le marché du travail pour des raisons d’âge, de localisation géographique (en zone rurale ou dans des quartiers), de handicap, etc., et de développer des activités sources de dignité pour elles-mêmes[4]. Ces besoins ne sont pas évalués dans le rapport Borello, et ne sont mentionnés nulle part dans la circulaire de la ministre du travail. Mais ils ne figurent pas non plus dans la feuille de route de la concertation amorcée par ailleurs avec les associations.
Le Groupe de travail « politique de la vie associative »/concertation pour une politique associative.
Résultat incontestable des actions/mobilisations associatives de cet automne, mais non reconnu comme tel par le gouvernement, il convient de replacer cette « concertation » dans le contexte plus large de la politique globale du gouvernement et en particulier des initiatives décrites plus haut. Le Collectif des Associations Citoyennes, invité à ce groupe de travail a décidé d’y participer pour porter une parole différente, reposant sur la mobilisation des associations, en prenant en compte la totalité du monde associatif et pas seulement les plus importants réseaux qui font de l’activité économique. Ce processus a débuté le 13 décembre 2017 par une réunion plénière avec les administrations et Christophe Itier, Haut-commissaire à l’ESS auprès de Nicolas Hulot, ministre de l’Ecologie. Il s’est poursuivi avec la réunion de trois sous-groupes thématiques la semaine de 13 au 19 janvier[5], qui se réuniront à nouveau en février, le processus de terminant par une plénière le 27 février. Une communication en Conseil des ministres en mars doit conclure ce cycle.
C’est donc le gouvernement qui décidera seul en dernier ressort de ce qu’il retiendra de cette « consultation ». Celle-ci se déroule dans des conditions d’écoute qui permettent aux réseaux associatifs présents de mettre à plat de nombreux problèmes et de faire part de leurs propositions et analyses. Pour le moment, il s’agit d’une concertation inter-associative devant des représentants de l’État qui sont présents mais restent muets. Il n’y a donc pas de véritable concertation à ce stade. Le gouvernement écoute et prendra seules les décisions dans un 2e temps. Cependant le contenu et l’idéologie soutenant les dispositions du rapport Borello et de la circulaire de Mme Pénicaud ne portent pas à se faire beaucoup d’illusions sur les décisions qui seront prises, le « tout marché » primant sur toutes autres considérations, solidarité et vivre ensemble compris.
La nécessité d’une véritable politique associative.
Le nouveau coup, que représente le resserrement des contrats aidés, vient frapper un tissu associatif déjà fragilisé par la baisse continue des subventions au cours des dernières années, passant de 34 % en 2005 à 24,7 % en 2011[6] et même 16,8 % en 2014 selon l’INSEE. Cela représente une diminution du volume des subventions d’environ 15 milliards en 10 ans[7]. En sens inverse, les commandes publiques aux associations ont augmenté d’environ 10 milliards d’euros. Les associations les plus importantes, disposant d’un service spécialisé, sont les plus à même de répondre à ces appels d’offres. En outre, depuis 15 ans, l’État s’est déchargé du financement des associations sur les collectivités. Cette position trouve aujourd’hui sa limite. La loi de programmation 2018-2022 des finances locales[8] et la suppression de la taxe d’habitation remettent fortement en cause leur capacité d’agir. C’est pourquoi le Collectif des associations citoyennes demande une refondation et un fort accroissement du FDVA (Fond de développement e la vie associative) actuel, pour constituer un fonds géré paritairement, de façon déconcentrée. La dotation de ce fonds est à évaluer avec précision, mais les besoins sont plus proches du milliard d’euros que des 25 millions accordés par le Premier Ministre le 7 novembre dernier.
Annexe : Recommandations du rapport Borello
- Développer « l’employeur-abilité » – la capacité à employer – comme critère de sélection dans l’aide à l’emploi, et envisager une obligation d’embauche des chômeurs de longue durée, et un bonus-malus pour généraliser la prise en compte de « l’employeur-abilité »
- Envisager une « étude de signal » comme il existe des études d’impact : Veiller lors de la conception des dispositifs d’aide à l’emploi, à insister sur leur continuité avec le droit commun, et non sur leurs différences, pour éviter un effet stigmatisant
- Amplifier l’expérimentation « Territoires zéro chômeurs », et constituer un accélérateur de l’innovation sociale
- Confier à un groupe de travail inter-administrations la mise au point d’outils d’aide à la décision fondés sur la logique d’investissement social, pour faire évoluer l’évaluation des dépenses sociales, notamment d’accès et de retour à l’emploi
- Recentrer les dispositifs d’accès et de retour à l’emploi sur leurs objectifs d’équité et d’efficacité, en sélectionnant mieux les employeurs selon leur « employeur-abilité »
- Revisiter les principaux dispositifs d’accès et de retour à l’emploi à l’aune du triptyque emploi – formation – accompagnement
- Explorer les voies et moyens d’inverser la « charge de l’insertion » par des dispositifs de dernier recours, par exemple en permettant à des structures de l’ASE de prescrire la Garantie jeune
- Passer d’une logique quantitative visant une masse de contrats aidés, à une exigence de qualité
- Remplacer les contrats aidés par des « parcours emploi compétences » contenant des obligations précises et contrôlées pour l’employeur
- Envisager un pacte d’ambition avec le secteur de l’IAE : atteindre une croissance annuelle de 20% du nombre de salariés jusqu’à la fin du quinquennat, avec une hausse budgétaire plus modérée, grâce à une plus grande performance
- Envisager des « contrats de professionnalisation accélérée » accessible à une partie des personnes éloignées de l’emploi, qui seraient accompagnées vers l’excellence par leur employeur grâce à une subvention
- Réserver au moins 50 millions d’euros par an du Plan d’investissement compétences (PIC) aux sortants de parcours emploi compétences
- Réserver au moins 50 millions d’euros par an du Plan d’investissement compétences (PIC) aux salariés de l’insertion par l’activité économique (IAE)
- Créer un « Fonds d’inclusion dans l’emploi » sur le modèle de ce qui existe dans le secteur de la santé, pour passer d’une logique de moyens à une logique de résultats
- Transformer le Conseil national de l’insertion par l’activité économique (CNIAE) en un Conseil national de l’inclusion dans l’emploi (CNIDE)
- Envisager de créer à partir des moyens existants un délégué interministériel à l’inclusion dans l’emploi, rattaché à la ministre du travail
- Envisager des conventions de cofinancement entre le ministère du travail et d’autres ministères, afin d’organiser le maintien d’objectifs d’utilité sociale dans les politiques d’inclusion dans l’emploi
- Réunir au plus haut niveau une conférence de l’inclusion économique et sociale, pour tracer une feuille de route et lutter contre l’exclusion économique et sociale tous azimuts : multiplier les plateformes de mobilité, permettre l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile, etc.
- Créer un engagement civique transmission pour les personnes volontaires de plus de 55 ou 57 ans
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[1] Voir le dossier de presse remis lors de la présentation du projet par Ch. Itier le 18 janvier. Et le très bon article du Politis « Quand la start-up nation s’attaque à l’économie sociale et solidaire » du 18/01/18 ; Puis l’article de Lien Social « Social strat-up » du 06/02/18.
[2] Art. L5134-20 du Code du Travail : « Le contrat d’accompagnement dans l’emploi a pour objet de faciliter l’insertion professionnelle des personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières d’accès à l’emploi ».
[3] Voir en annexe les 19 recommandations.
[4] Deux exemples parmi plusieurs centaines, « Au chômage depuis 2 ans mes chances d’obtenir un emploi en milieu rural s’envolent ! » (Arielle à Nyons), « Je viens de perdre mon emploi à 59 ans, suite à la suppression d’une violence inouïe des contrats aidés. Que vais-je devenir ? » Marie-Aimée à Equeureville (50).
[5] Voir les documents et compte rendu de ces séances sur le site du Collectif des associations citoyennes.
[6] Viviane Tchernonog, 2013, Le paysage associatif français, Dalloz, p 175
[7] 15 % de 108 milliards d’euros, volume consolidé des budgets associatifs. Voir INSEE Première N°1587 février 2016.
[8] Voir ici l’article de la Gazette des Communes.
A lire pour compléter l’information :
- Le communiqué du syndicat ASSO « Parcours emploi compétences : les mots changent, la précarité perdure ! » du 21/2/18
- La vidéo (2 min) des conclusions de la commission de la culture du Sénat – mission d’information sur les conséquences de la baisse des contrats aidés dans le milieu associatif- présentées le 21/2/18
- Le communiqué du MES (Mouvement pour l’économie solidaire) « Analyse et proposition, sur le Dispositif « parcours emploi compétences » » du 9/2/18
- La note de synthèse du rapport du Sénat « RÉDUCTION DES CONTRATS AIDÉS : OFFRIR UNE ALTERNATIVE CRÉDIBLE AU SECTEUR ASSOCIATIF«
- Le communiqué de presse du Sénat « Contrats aidés : la commission de la culture, de l’éducation et de la communication préconise d’assurer aux petites associations une période de transition permettant une réduction progressive et planifiée du nombre des contrats aidés » du 22/2/18