Analyse : Quel contexte réglementaire national et européen pour les associations travaillant au service de l’intérêt général
Dans quel cadre peut-on envisager une réglementation française qui reconnaisse le rôle des associations dans la société et permet de développer ce rôle en échappant au fondamentalisme de marché ? Pour répondre à cette question, il faut examiner ce qui s’est passé au cours des dernières années au niveau européen et au niveau national
Au niveau européen
Les activités associatives sont concernées par la réglementation européenne au travers de plusieurs textes :
– le texte des traités, notamment les articles 14 et 106 du traité de Lisbonne, ainsi que le protocole additionnel N° 26 de ce traité
– la directives services (directive relative aux services dans le marché intérieur 2006/123)
– la réglementation dite des aides d’État, qui limite les aides apportées par les États et les collectivités aux activités économiques), avec un règlement de décembre 2006 (paquet Monti-Kroes), et une actualisation récente pour ce qui concerne les seuls services reconnus d’intérêt général (paquet Almunia)
– des arrêts de la Cour de Justice européenne qui font jurisprudence (arrêt Altmark, arrêt Sodemare)
La réglementation européenne a pour premier objectif d’assurer la libre circulation des biens, des services des capitaux et des personnes dans l’union européenne, en instaurant une concurrence « libre et non faussée ». Cependant, les règlements et encore plus le Traité laissent des ouvertures vers les autres finalités des activités associatives. Certains articles du traité ne sont pas appliqués faute de volonté politique de la Commission et du Conseil. Une bataille est à mener au niveau européen autour des services d’intérêt général (SIG).
Position de l’ancien gouvernement
Le gouvernement précédent en a rajouté par rapport au caractère néolibéral des textes européens, en se gardant bien d’utiliser des ouvertures qui étaient possibles. En particulier, toutes les activités associatives ont été considérées par la circulaire Fillon 18 janvier 2010 comme des actions économiques, et se sont vues appliquer au niveau national la réglementation des aides d’État. Par ailleurs, le gouvernement a refusé de légiférer pour protéger certains secteurs d’activité en les considérant comme d’intérêt général et a renvoyé aux collectivités et l’entière responsabilité de l’interprétation des directives européennes. D’où une extension croissante de la procédure des appels d’offres et de la commande publique.
Cette position rejoignait une politique d’ensemble qui depuis 10 ans s’est attaché à banaliser l’action associative et à en nier la spécificité. Le collectif a identifié 5 politiques principales qui remettent en cause l’action associative et conduisent les associations à une évolution comparable à celle qu’ont connue les services publics au cours des dernières années : remise en cause pure et simple au profit de logiques marchandes.
Les propositions du collectif des associations citoyennes
Face à cette situation, plusieurs centaines d’associations se sont regroupées au sein d’un collectif des associations citoyennes pour dénoncer cette situation, mais aussi élaborer des propositions alternatives, à inter agir en collaboration avec les collectivités et l’ensemble des forces vives des territoires.
1. Renforcer le rôle des associations en matière de démocratie participative, de participation citoyenne et d’éducation à la citoyenneté en redonnant toute sa place à l’engagement bénévole, en favorisant l’accès des citoyens au débat public et leur participation à la décision publique.
2. Construire de nouvelles relations entre associations et collectivités, confrontées aux mêmes enjeux de survie des territoires, en développant des actions partenariales pérennes dans un esprit de complémentarité et de reconnaissance réciproque du rôle de chacun.
3. Créer de nouvelles modalités de financement pour les actions porteuses d’intérêt général ou d’utilité sociale, afin de les sécuriser dans la durée, en distinguant clairement les activités lucratives des activités économiques d’utilité sociale, en préservant du marché certains secteurs d’activités correspondant à des besoins de société auxquels ne peuvent répondre des entreprises privées. Sécuriser par la loi les actions menées au service de l’intérêt général et respectant certains critères élaborés en concertation avec l’ensemble des parties prenantes au projet (Etat, collectivités territoriales, associations, partenaires sociaux, mécènes…).
4. Abroger certaines dispositions de la réforme des collectivités territoriales en restaurant la compétence générale des départements et des régions et les différentes formes de concertation nécessaires à la mobilisation de tous les acteurs des territoires.
5. Mettre en œuvre une autre RGPP (révision générale des politiques publiques), fondée de manière équilibrée sur des critères tout à la fois quantitatifs et qualitatifs.
6. Peser sur l’élaboration de la réglementation européenne, afin d’exclure du champ de la concurrence les actions porteuses d’intérêt général, économiques ou non, développer un droit européen de l’intérêt général appuyé sur la charte des droits fondamentaux, qui reconnaisse le droit d’association.
Position du nouveau gouvernement
Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, le climat a considérablement changé. François Hollande s’est engagé en tant que candidat à demander que soient adoptées au sein de l’union européenne une directive sur la protection des services publics (proposition numéro 5). Parmi les engagements du Président de la République deux principes ont été posés pour une nouvelle politique : « la reconnaissance de la spécificité des associations et leur rôle dans l’intérêt général. Pour cela, il apparaît nécessaire de redéfinir les services sociaux d’intérêt général et de revoir la réglementation. Les associations qui ne peuvent pas vivre d’appels à projets doivent avoir une sécurité dans leur financement sur plusieurs années, sans avoir besoin d’aller chercher leur financement à travers des appels d’offres ou des appels à projets. La formation du gouvernement montre que les associations, comme l’économie sociale et solidaire, ne sont plus des objets de mépris et des anomalies par rapport au tout marché, mais constituent des priorités. On ne peut que saluer les premières déclarations des ministres, qui contrastent fortement avec l’action du précédent gouvernement. Nous considérons que l’action menée par le collectif a été suivie d’effets puisque la plupart des revendications que nous avions posées ont fait l’objet d’annonces.
Cependant
– Les difficultés ressenties par les associations restent entières, et rares sont celles qui espèrent un changement de leur situation avec l’alternance politique. On peut prévoir que les financements de l’État et des collectivités ne vont pas croître de façon magique. Un nouveau plan de rigueur ne peut être exclu.
– Les pratiques d’un certain nombre de collectivités, compris de gauche (en particulier la Ville de Paris mais aussi d’autres) continuent de privilégier les appels d’offres, la concentration des associations et d’afficher le même mépris que l’ancien gouvernement pour les petites associations.
– Les mesures proposées par les autres ministères risquent d’oublier les associations. Par exemple, on peut s’attendre à une relance de l’intercommunalité de projet, mais organisée comme une participation des élus communaux. De même pour la transition écologique, qui risque d’oublier le travail des associations. L’économie sociale et solidaire risque de privilégier les actions en faveur de l’emploi en s’appuyant sur les coopératives, les mutuelles et les entrepreneurs sociaux, au détriment de critères solides.
On peut s’attendre raisonnablement à certaines mesures :
– une reconnaissance et des mesures en faveur de l’éducation populaire
– une nouvelle conférence de la vie associative (ou des assises, des états généraux).
– un texte législatif pour définir les services d’intérêt général, avec des textes d’application permettant de de lever l’incertitude juridique et de desserrer l’étau des appels d’offres
– une confirmation des conventions pluriannuelles d’objectifs à travers une nouvelle circulaire.
– Une loi-cadre définissant l’économie sociale et solidaire
– une nouvelle étape de la décentralisation, revenant sur certaines dispositions de la loi du 10 déc 2011.
Mais il ne faut pas confondre les intentions et les décisions effectives. La vigilance reste de mise. La mise en place d’une autre politique associative reste un objectif à concrétiser. D’où l’importance d’une mobilisation autour des propositions du collectif.