Cette réaction, qui intervient à la suite de l’occupation éphémère par leurs militants d’un immeuble de bureaux à Paris, mardi 11 septembre, illustre les interrogations qui, depuis l’élection de François Hollande, traversent bon nombre d’associations qui travaillent sur les questions de logement, d’exclusion et d’immigration : comment rester combatives et crédibles face à un gouvernement de gauche avec lequel on partage des combats ou tout au moins une grande partie de l’idéologie ?
Incontestablement, il a fallu une période de rodage. Pendant un temps, les communiqués ont été moins nombreux, moins virulents que du temps de Nicolas Sarkozy. Ce changement de ton dans le débat public a été très visible lors de la polémique de l’été sur les démantèlements de campements roms. Alors qu’à l’été 2010, lors du discours de Grenoble de M. Sarkozy, la plupart des associations de défense des étrangers avaient très violemment réagi aux annonces de l’ancien président de la République, les critiques ont été nettement moins violentes cette fois-ci.
Il y avait alors la « stigmatisation » en plus, arguent beaucoup de militants pour expliquer la relative réserve qu’ils ont observée sur ce sujet, même si certains ont fait entendre leur voix. M. Hollande ayant aussi promis le minimum, durant la campagne électorale, leurs attentes sont forcément limitées, expliquent d’autres.
L’épisode sur les Roms « nous a stupéfaits », admet Patrick Peugeot, président de la Cimade, association spécialisée dans la défense des droits des étrangers en rétention. « On en a beaucoup parlé en interassociatif. » Mais dans le même temps, explique-t-il, depuis mai, « nous n’avons pas eu non plus le sentiment d’être complètement ignorés ».
Comme d’autres, M. Peugeot en veut pour preuve l’abrogation de la circulaire du 31 mai 2011, restreignant les possibilités de séjour en France des étudiants étrangers. Il donne aussi comme exemple la publication, le 7 juillet, d’un texte privilégiant l’assignation à résidence des familles sans papiers en instance d’éloignement plutôt que leur placement en rétention.
« CERTAIN APAISEMENT »
Le monde associatif réfute ainsi une forme de complaisance avec le nouveau pouvoir. « J’assume parfaitement d’avoir appelé à voter pour M. Hollande, explique Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile (FTDA). Il y a aujourd’hui un certain apaisement, mais si on est au même rythme dans six mois, cela changera. »
« Le ton de nos communiqués a changé, car des orientations prises par le gouvernement vont dans le bon sens, et nous le disons. Mais dans ces mêmes communiqués, nous soulignons aussi les insuffisances du projet de loi de Cécile Duflot sur le logement qui vient d’être voté par le Sénat, des dispositions sur l’encadrement des loyers, sur les logements vacants… », convient Manuel Domergue, porte-parole et membre fondateur de Jeudi noir.
Même discours à la Fondation Abbé Pierre. « Avec l’ancien gouvernement, c’était plus facile de monter au créneau, car nombre de leurs propositions allaient à rebours de nos convictions », justifie Christophe Robert, délégué général adjoint de l’association. Mais aujourd’hui, d’après lui, même si la fondation est « plus en phase avec les orientations du gouvernement, notre ligne de conduite ne doit pas varier : ne rien laisser passer et servir d’aiguillon pour que toutes les promesses sur le logement soient tenues ».
L’une des raisons de ce changement d’attitude du monde associatif est la soudaine ouverture des cabinets ministériels à leurs sollicitations : rendez-vous proposé par les ministères eux-mêmes, accès simplifié aux conseillers… Si sur le logement, le dialogue avait été maintenu du temps de Benoist Apparu, ministre délégué au logement du dernier gouvernement Sarkozy, sur l’immigration, pour beaucoup, c’est le jour et la nuit.
« Songez, pendant deux ans, je n’ai jamais mis un pied au ministère de l’intérieur. Même les contacts téléphoniques étaient difficiles », raconte M. Henry, de FTDA. Or en s’occupant notamment de l’hébergement des demandeurs d’asile, son association bénéficie d’importants financements publics et assure de fait une délégation de service public imposée par la loi.
« RÉSULTATS SOUVENT DÉCEVANTS »
Seules quelques associations rejettent l’empressement de leurs camarades à répondre aux invitations des ministères. « C’est un mécanisme que l’on connaît assez bien à chaque fois que la gauche arrive au gouvernement. Ça a déjà été le cas en 1981 et en 1997 », explique Claire Rodier, membre du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), une association spécialisée dans le conseil juridique aux étrangers.
Depuis les années 1990, le Gisti a fait le choix de rester en marge, même s’il est membre de plusieurs collectifs qui discutent avec l’exécutif. Un choix entériné avec la déception, en 1997, qui a suivi les régularisations limitées accordées par Lionel Jospin. « L’expérience nous a montré qu’on était embarqué dans des négociations très longues, avec des résultats souvent décevants », raconte Mme Rodier.
Pour d’autres raisons, Jeudi noir n’utilise pas non plus le canal ministériel pour faire passer ses idées. « Nous n’avons pas fait de demande en bonne et due forme de rendez-vous avec la ministre, car nous préférons faire avancer les choses par d’autres moyens, notamment la voie parlementaire, ce qui est souvent plus efficace », explique M. Domergue.
Quels que soient leurs états d’âme vis-à-vis du gouvernement, les responsables associatifs pourraient être rattrapés par la réalité du terrain. « Si nos prises de position ne sont pas en phase avec ce que ressentent nos adhérents, qui sont très divers et sont directement confrontés aux difficultés sociales, ils ne manquent pas de nous le faire savoir », explique Matthieu Angotti, directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars), qui regroupe plus de 800 associations de solidarité. Et d’ajouter : « Les 100 jours sont passés et nous sommes revenus au même point. Le contexte l’emporte déjà largement sur la couleur politique. »