Appel pour une économie sociale et solidaire réellement démocratique
Par Comité National de Liaison des Régies de Quartier (CNLRQ), MINGA, le Collectif des associations citoyennes.
La démocratie est aujourd’hui menacée par deux évolutions majeures et imbriquées. D’abord, le pouvoir économique semble de plus en plus éloigné de tout contrôle citoyen et la concentration à laquelle il est parvenu lui permet de peser sur la politique des Etats. Ensuite, les choix économiques apparaissent accaparés par des experts partisans d’une société de marché, c’est-à-dire considérant que les mécanismes marchands ont une validité dans tous les domaines de la vie sociale. Les conséquences concrètes sont de plus en plus constatables : les dépendances aux marchés financiers affectent les pays quand leurs monnaies sont attaquées, la directive européenne sur les services est transposée sans débat parlementaire, les règles régissant les services publics et associatifs entendent s’aligner sur celles des entreprises privées, selon les préconisations du « New Public Management ».
Ces bouleversements accréditent l’idée de lois économiques et accentuent la défiance vis-à-vis d’une démocratie perçue comme impuissante face à celles-ci. Cette tendance catastrophiste ne peut être contrecarrée que par une mobilisation de la société. Cette dernière, pour réussir, doit s’appuyer sur la multiplicité des engagements sociétaux, en particulier associatifs, et faciliter leurs rapprochements pour redonner confiance en la démocratie. Responsables associatifs, élus et partenaires sociaux peuvent toutefois inverser la tendance, s’ils clarifient leurs contributions respectives à l’intérêt général. La confusion des genres est une stratégie contre laquelle il faut lutter.
Pour aller dans ce sens, les acteurs du secteur de l’ESS qui œuvrent à faire vivre les solidarités doivent se démarquer clairement de leur instrumentalisation par un capitalisme en recherche d’une nouvelle légitimation. Les modèles du « social business » ou de la « venture philanthropy » qui leur sont proposés depuis peu prennent prétexte de leur soi-disant amateurisme pour leur recommander de se conformer encore plus aux principes de gestion de l’entreprise privée. L’introduction de la concurrence dans le social serait le gage de sa modernisation, transformant les pauvres en marché rentable, donc « efficacement géré ». Dans une telle logique de marchandisation, ces derniers seraient enfermés dans un rôle supplétif de supplément d’âme et incapables de s’attaquer aux causes des inégalités sociales, des dégradations environnementales ou des atteintes à la diversité culturelle.
A titre d’illustration, deux propositions récentes – parmi toute une série de préconisations d’inspiration libérale – doivent être combattues par l’ensemble des acteurs de l’ESS.
D’une part, et s’agissant du secteur de l’insertion par l’activité économique, le projet de créer une agence spécifique – Agence ou GIP de l’IAE – proposé par certaines fédérations du secteur relève davantage d’une logique de démantèlement des services publics que d’une « amélioration des relations » entre services de l’Etat et opérateurs d’insertion. En s’inscrivant pleinement dans l’idéologie de la nouvelle gestion publique, cette proposition qui vise à disqualifier les agents de l’Etat aboutirait à les placer comme simples observateurs et non comme acteurs garantissant les solidarités territoriales et le souci partagé de cohésion sociale avec le monde associatif.
D’autre part, le projet de création d’un organisme de certification normative dans le champ de l’Economie Sociale et Solidaire doit également être combattu avec la plus grande fermeté.
Cette volonté de certification du champ de l’Economie Sociale et Solidaire, au nom d’une efficacité et d’une utilité contestables, vise en réalité à transformer les acteurs du secteur en opérateurs dociles. Plus généralement, cette initiative contribue à la remise en cause du statut des sociétés de personne et à l’instauration de pratiques sociales normées contraires à l’esprit même qui fonde l’ESS. N’est ce pas précisément parce qu’ils sont sortis des normes imposées que les acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire ont fait la preuve de leur capacité à inventer de nouvelles formes de production de biens et de services ?
Les acteurs de l’ESS doivent revendiquer qu’ils témoignent d’une autre façon d’entreprendre mais aussi qu’ils ont une fonction politique. Ils réalisent des actions qui se veulent en faveur du bien commun. Pour être cohérents avec leurs projets, ils doivent donc veiller à ce que leurs modes de fonctionnement interne favorisent l’expression de tous (salariés, usagers et bénévoles) et imposer leurs voix dans les débats publics.
Cependant, cette mobilisation que nous appelons de nos vœux ne peut guère déboucher sur un changement démocratique si n’émerge pas conjointement une nouvelle étape des politiques publiques. Les logiques de « rationalisation » qui seules dominent ces dernières années se révèlent impuissantes pour engager une rénovation démocratique de l’action publique (cf. la Révision Générale des Politiques Publiques dont les mesures sont prises en dehors de tout débat public). Elles imposent un véritable culte du contrôle comptable généralisé à tous niveaux – agents de l’Etat, services publics, acteurs sociaux, associations – proposent des évaluations sur des critères techniques, voire technocratiques standardisés, vident (volontairement ?) toute réflexion sur le sens des politiques publiques, rendent les choix qui s’y rattachent non assumés démocratiquement. De ce point de vue, la RGPP doit être abandonnée et faire place à une Révision Démocratique des Politiques Publiques.
Il est décisif, et nous le constatons encore bien heureusement, que les responsables publics dépassent ces tentations tutélaires et considèrent les acteurs de l’ESS comme des interlocuteurs à part entière qui contribuent à l’apprentissage démocratique. Les deux parties prenantes doivent dénoncer et refuser les logiques de prestataires de services. Il en va de la capacité des acteurs de l’ESS à innover, à inventer de nouveaux processus démocratiques et à être force de propositions alternatives aux logiques de marchandisation.que cet objectif commun devienne désormais prioritaire.
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