Observations sur les relations associations-collectivités
Quelques observations sur les relations associations-collectivités, avec l’aggravation de l’austérité en 2016 en Poitou-Charentes, Pays de Loire et Limousin
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Ces observations résultent de la lecture ou de l’écoute des délibérations d’environ une centaine de collectivités locales ou départementales par Monique Tilhou (CAC et Université Populaire du Saumurois) dans la cadre du groupe de travail Cartocrise-associative du CAC.
Ces observations portent principalement sur les associations subventionnées employant des salariés, mais les associations qui reçoivent des subventions ne sont pas les plus nombreuses sur les territoires. Les petites associations qui fonctionnent exclusivement à partir de l’engagement bénévole de leurs membres -souvent avec des mises à disposition de moyens matériels des communes- réalisent un travail citoyen important sur le terrain. Mais elles sont également touchées par le changement d’état d’esprit.
Une lutte idéologique autour de la culture
Il se joue une lutte idéologique sur le terrain, visible surtout autour de la culture et de l’action sociale.
– Le festival citoyen Musiques Métisses à Angoulême est en liquidation judiciaire, enfoncé par le Département et la municipalité qui refusent de l’aider vraiment. Il a cependant le soutien d’une autre partie des pouvoirs publics (Communauté de communes et Région) et surtout des citoyens et d’organismes tels que la NEF. D’où un appel au financement participatif. Tenir est un vrai enjeu politique.
– à Confolens (toute petite ville) des assos se voient proposer des subventions de 50 ou 60 € (sic).
– à Cognac la ville, très endettée, est épinglée par la Cour des Comptes régionale pour ses excès de dépenses. Le maire (PS) refuse de réduire les animations coûteuses, mais nécessaires à l’image de la ville, et il arme sa police municipale. Mais les associations sont invitées à s’adresser aux financements privés.
En revanche, d’autres festivals se réduisent à des opérations de simple communication pour le territoire, comme à Cognac ou à Confolens. A Saintes, dès 2015, les baisses de subventions aux associations ont été concentrées aux 2/3 sur l’action sociale, afin de conforter le festival de l’Abbaye-aux-Dames. L’argent est beaucoup plus abondant pour des opérations de communication ou de prestige, mais la culture est vidée de toute dimension créatrice, éducatrice ou contestatrice.
La cohésion sociale progressivement étranglée
Pour la cohésion sociale, c’est plus subtil. De nombreuses villes ont pour perspective la municipalisation ou la marchandisation. On observe un travail de sape qui prépare de telles évolutions. Toutes les assos doivent assécher leurs réserves face à la baisse des subventions. A la longue elles sont étranglées, alors que les pouvoirs publics prétendent les avoir aidées. La fermeture brutale du centre de loisirs associatif d’Angoulême fait écho aux difficultés de beaucoup d’autres centres sociaux.
À Saumur, l’aide aux cours d’informatique pour les seniors est supprimés. Même chose au centre social culturel de Doué la Fontaine. Dans les Deux-Sèvres, le service départemental de formation à l’informatique Solid’RNet est supprimé pour les bénévoles associatifs et les personnes isolées (ruralité, personnes âgées ou en situation de handicap). Les 11 agents départementaux de ce service sont « recyclés » sur d’autres activités et le réseau de 80 bénévoles disparaît. En revanche, des investissements très importants sont faits pour le haut débit.
L’importance des subventions aux associations parapubliques et aux écoles privées
L’État n’a pas le monopole de la confusion entre les subventions aux associations et à celles accordées à des associations parapubliques ou aux établissements d’enseignement[1]. Au niveau des collectivités, une part non négligeable des subventions est destinée à des associations para publiques (œuvres sociales, assurances des salariés de la mairie) ou à des écoles privées (comme par exemple aux Herbiers en Vendée). Mais il faut regarder le détail des attributions de subventions pour le voir.
L’austérité a bon dos pour se débarrasser des gêneurs ou des « archaïques »
Ce sont le plus souvent les associations « mal pensantes » qui subissent des amputations drastiques, comme des Maisons de quartier (à Angers), des festivals qui attirent la jeunesse (Musiques Métisses à Angoulême, le Grand Souk à Ribérac), la Prévention Spécialisée, les Centre Sociaux (à Saint-Herblain, près de Nantes, la restructuration envisagée constitue une municipalisation rampante…). Ce type de décisions n’est pas réservé aux municipalités de droite, mais est également le fait de collectivités de gauche.
Cependant, il faut signaler quelques exceptions où le choix du soutien aux associations est affiché et maintenu, malgré les objections de l’opposition.
Au total, l’austérité a souvent bon dos pour se débarrasser de certaines associations. Sont principalement visés les gêneurs ou les « archaïques » qui n’ont pas le business chevillé au corps. L’attitude de certains élus est contradictoire. Ils disent qu’ils investissent pour l’avenir mais ils sabordent les organisations citoyennes et les démarches culturelles ouvertes, se disant contraints et forcés.
Une réalité occultée par les discours
Le flou artistique des informations rend difficile l’évaluation des situations
La municipalité comme le département fournissent très rarement des critères. Quand des questions sont posées aux élus sur leurs motivations, lors des réunions municipales ou dans les articles de presse, elles n’obtiennent pas souvent de réponse satisfaisante. Beaucoup de présentations budgétaires comportent des éléments d’alerte, mais sont inexploitables en l’état. Petit inventaire des difficultés rencontrées :
– Un article de presse met l’accent sur une décision, un phénomène. Mais parfois l’essentiel, qui est bien pire, n’est pas explicité ;
– La recherche des PV de conseils municipaux est tout aussi aléatoire : certains sont inaccessibles par Internet, d’autres sont lapidaires : « le débat sur les orientations budgétaires a été mené » (point final) ;
– Quand on dispose d’un enregistrement vidéo, cela permet d’entendre les choix affirmés/débattus. Mais il y a beaucoup d’enfumage dans le discours, ce qui nécessite de longues vérifications ;
– Certaines présentations se limitent à des schémas peu précis, non comparables d’année en année.
Des discours tronqués, manipulés, parfois mensongers
Rien n’est plus mensonger qu’un discours politique mouliné par la communication. Il est très difficile de faire une analyse fiable des situations à partir des discours (certains frôlent l’absurde « maintien à hauteur de 80% » pour nier une baisse de 20%). On assiste parfois à des présentations de budgets béates, qui affichent un endettement très faible, une épargne en hausse, une démographie en hausse, et parfois la notation de la commune AAA. Cela n’empêche pas de diminuer le poste « dépenses de fonctionnement », et notamment la ligne consacrée aux associations.
Le cas de Parthenay est exemplaire : le maire annonce à grands cris un budget « lourdement amputé par les dotations d’Etat ». Ensuite les dotations arrivent au delà de ce qui était perçu auparavant. Le maire ne le fait pas savoir à ses conseillers, et présente cependant un budget moins serré. Pour les associations, cependant, le tour de vis est inchangé.
Les baisses de dotations ont pour effet principal de graves dégâts infligés au tissu associatif, mais ont des effets collatéraux tout aussi redoutables : elles donnent aux élus le pouvoir de choisir qui va pouvoir s’exprimer sur leur territoire.
L’importance d’un éclairage local averti
Il est essentiel d’avoir l’appui de fonctionnaires territoriaux capables de bien lire les budgets des collectivités. De même, le rôle des lanceurs d’alerte locaux est essentiel. Mais ceux-ci ne fournissent pas toujours des éléments précis, passant directement à l’expression d’une indignation sans s’appuyer sur des faits. Il serait nécessaire de former les lanceurs d’alerte.
La nécessité de mises en réseau local des associations
Si l’on dispose de l’éclairage d’une association locale ou d’une personne ressource, cela peut permettre d’être guidé et de révéler la face cachée des choses. Malheureusement, c’est rare, car les responsables associatifs locaux ne connaissent pas toujours la situation des autres assos, l’inter associatif est très peu pratiqué. Certains ne révèlent leurs difficultés qu’au moment de sombrer.
- Pour y remédier, il est essentiel de créer des liens entre les associations d’un même territoire, afin qu’elles s’informent mutuellement, qu’elles puissent s’entraider dans les difficultés et se mobiliser ensemble. Ces regroupements peuvent être permanents ou temporaires. Ils peuvent déboucher sur un travail de réflexion ou de formation commune.
Une reconnaissance très différente selon les territoires
Les associations n’ont pas partout la même place dans le vivre ensemble
Les élus politiques n’accordent pas toujours la même place aux citoyens organisés autour du vivre ensemble, la conception de l’usage de l’argent public est différente, sans parler des pratiques de la démocratie… Le rôle des associations est très différent dans une grande ville ou dans une petite ville, où la tentation est grande de limiter l’action associative à l’animation.
De leur côté, les associations ne s’organisent pas de la même manière dans tous les territoires. Face aux décisions municipales, certains territoires sont en ébullition, alors qu’ailleurs chaque association résiste dans son coin, fait le dos rond ou cherche à passer inaperçue.
Des cultures régionales différentes
Dans les deux régions de l’ouest (Poitou Charentes et Pays de Loire), l’organisation associative fait partie de l’ADN des territoires. Les aides sont importantes mais ciblées : cela divise sur le terrain et quand l’aide baisse, une communication mensongère embrouille la lecture que les citoyens peuvent avoir de l’impact.
A Angers (pas de vraies difficultés financières mais des choix d’investissement contestés) une baisse de -5% se traduit par -10% pour les Maisons de quartier, – 80% pour une asso de jumelage, etc. Mais les arts du cirque, crédités d’un « fonctionnement d’entreprise », bénéficient d’une augmentation de 5%. L’adjointe au maire prend l’engagement de soutenir toutes les petites associations qui seraient les seules à faire du lien social. Les discours et les pratiques sont très proches à Angers, à Niort et à Parthenay : les décisions sont à géométrie variable au profit des biens pensants, avec un brin de démagogie.
En Limousin, c’est plutôt la contestation qui fait partie de l’ADN régional. Le discours associatif est plus affirmé qu’ailleurs, avec par exemple un maintien du montant des subventions par le département de Haute-Vienne. Mais là aussi la bataille idéologique fait rage : à Limoges, où une droite dure a pris les rênes de la municipalité après 100 ans de gestion socialiste, c’est un conseiller municipal FN qui est chargé de la vie associative.
Au total, Le rôle des associations comme moteur de la démocratie est de moins en moins reconnu. On voit se multiplier les cas où les élus sont méfiants vis-à-vis des associations. Certains cassent brutalement le tissu associatif. D’autres se donnent plusieurs années, mais l’objectif est similaire : il s’agit de prendre le contrôle des activités associatives à moindre coût, soit par la municipalisation, soit par la marchandisation.
[1] L’analyse des « jaunes budgétaires » réalisés par le CAC, détaillant les subventions de l’État aux associations en 2012, faisait apparaître que 42 % des subventions aux associations allaient à des associations parapubliques ou à des établissements d’enseignement.