L’évolution du cadre économique et politique des associations : quelques propositions
Discours tenu lors du colloque Associations : Quelles stratégies face aux crises ? organisé par les avocats du Barreau de Lyon le 24 septembre 2010 par Didier MINOT
Cette journée survient à un moment crucial pour l’avenir des associations. En effet, dans une circulaire du 18 janvier 2010, le Premier Ministre a précisé les relations entre les pouvoirs publics et les associations en matière de conventions d’objectifs et de simplification des procédures d’agrément. La réforme des collectivités bien bouleverser le cadre dans lequel évoluent les associations. Ces événements suscitent des réactions diverses qu’il est intéressant d’analyser.
La circulaire du 18 janvier
La première partie de la circulaire apporte des éléments positifs sur plusieurs points en matière de conventions d’objectifs et d’agrément. Cependant, en affirmant que « dans la pratique, la grande majorité des activités exercées par les associations peuvent être considérée comme des activités économiques, de sorte que les aides publiques qui y sont apportées doivent respecter la réglementation européenne sur les aides d’État », cette circulaire fit considérablement la conception même du rôle des associations et les modalités de leur financement. C’est pourquoi l’association que je préside, RECIT (réseaux des écoles de citoyens et 3 autres associations ont déposé un recours en Conseil d’État pour excès de pouvoir à l’encontre de cette circulaire, grâce à Me Colas Amblard ici présent, avec 5 griefs principaux :
- – la circulaire élargit abusivement la réglementation communautaire des aides d’État, qui ne s’applique qu’aux « offres de biens ou de services régulières sur un marché, caractérisé par la confrontation d’une offre et d’une demande.
- – Les subventions sont désormais étroitement subordonnées à l’exécution d’un service public défini par une collectivité publique. Le glissement sémantique de la notion de « subvention » vers celle de « compensation » est contraire à la définition donnée par la circulaire elle-même qui caractérise la subvention par le fait que « c’est l’association qui doit être à l’initiative du projet ».
- – le modèle unique de convention annexé à la circulaire multiplie des conditions impératives de délais, de fournitures d’information et de concertation avec les collectivités publiques impossibles à satisfaire, ce que reconnaissent bien volontiers les services de l’État, et qui génère une insécurité juridique.
- – en limitant l’effectivité des droits des associations à percevoir des subventions publiques, la circulaire a une incidence indéniable sur la liberté d’association et le droit d’initiative accordée aux associations par la loi du 1er juillet 1901 et consacré au rang des principes fondamentaux par le préambule de la Constitution.
- – c’est une loi qui devrait transposer la réglementation communautaire en droit interne et qui seule peut toucher aux compétences des collectivités.
Cette circulaire a été vigoureusement défendue par une partie des coordinations associatives, qui avaient participé à sa préparation. Celles-ci font valoir à juste titre que ce texte permet d’échapper à la généralisation des appels d’offres, notamment au niveau d’un certain nombre de collectivités. Les conventions d’objectifs sont confirmées et peuvent désormais comporter une part d’investissement, de fonctionnement, de reconstitution des réserves (dans la limite de 10 %) et plus seulement couvrir la réalisation d’un projet. Les têtes de réseaux et les associations de plaidoyer sont explicitement en dehors du champ de la circulaire. Enfin, les procédures d’agrément sont simplifiées. Mais ces avantages sont sensibles pour une partie seulement des associations.
Les besoins divergents des associations
L’univers des associations est extrêmement diversifié. On compte environ 1 million d’associations au total. 800 000 d’entre elles reposent exclusivement sur le bénévolat. En 2009, 178 000 associations étaient employeurs, dont près de la moitié dans le domaine social. Plus de 330 000 emplois ont été créés dans le secteur associatif depuis 2000. Les créations d’emplois sont restées positives pour le secteur associatif en 2008 et 2009, alors qu’elles diminuaient fortement pour le secteur privé. Mais cette activité est fortement concentrée : 5700 associations emploient plus de 50 salariés, soit 300 000 emplois au total. 115 000 associations emploient de 1 à 5 salariés, soit également 300 000 emplois au total.
Nous comprenons que cette circulaire réponde aux attentes des associations qui mènent des actions économiques et disposent d’un service comptable. C’est le cas notamment des 5700 associations qui emploient plus de 50 salariés. Il est tout à fait légitime que celles-ci s’organisent et fassent valoir leurs points de vue. Ce ne sont pas toujours des entreprises comme les autres, car souvent leurs dirigeants ont gardé, plus ou moins, des convictions associatives et mutualistes de leurs origines. Mais il y a problème quand ces associations deviennent prépondérantes au sein des coordinations associatives, car dans un contexte de crise, il est difficile de ne pas s’attacher à défendre d’abord ses propres intérêts.
En revanche, la circulaire ne répond pas aux besoins des centaines de milliers d’associations qui mènent des actions non économiques d’intérêt général extrêmement diverses au service du bien commun, et contribuent de façon essentielle à la cohésion sociale et à la vie en société, mais ne dispose pas d’un service juridique et comptable leur permettant de faire face aux complexités administratives qui se multiplient. C’est le cas en particulier des 115 000 associations qui emploient de 1 à 5 salariés. La plupart de ces associations ne sont pas des entreprises, car elles ne ne vendent pas régulièrement des biens et des services sur un marché, même si dans certains cas une partie de leur activité peut être qualifiée d’économique.
Une inquiétude plus profonde
le débat qui se développe autour de cette circulaire est révélateur d’une inquiétude plus profonde. Comme l’ensemble de la société, le monde associatif est soumis depuis 20 ans à une pression de plus en plus forte pour marchandiser l’ensemble de ses actions. La Directives Services permet désormais à des opérateurs privés de concurrencer des actions qui auparavant relevaient de l’entraide, d’une organisation participative ou d’un quasi service public, avec des motivations désintéressées. Il suffit qu’un opérateur s’intéresse à l’accompagnement scolaire ou aux crèches pour que le secteur soit considéré comme concurrentiel. Naturellement, le service rendu n’est pas toujours le même et la concurrence par les prix tend à remplacer des activités à forte « valeur ajoutée collective » par des activités à bas prix. Les initiatives privées prennent les segments d’activités les plus rentables.
Simultanément, L’Etat remet en cause de façon ouverte, massive et systématique les financements publics aux associations qui mènent des actions au service du bien commun comme à beaucoup d’autres actions porteuses d’avenir (recherche, action sociale, santé, création culturelle, sport, protection de l’environnement, formation professionnelle). Il laisse dépérir les actions d’intérêt général peu attractives. Certaines collectivités ont pris en partie le relais, mais ne peuvent pas suivre ces mesures qui constituent de nouveaux transferts de charges. La réforme des collectivités, qui vient d’être voté en seconde lecture à l’assemblée nationale, va limiter encore beaucoup plus fortement ces possibilités. De nombreuses associations porteuses d’éducation citoyenne ont disparu, sont aujourd’hui exsangues ou en détresse. On va tout droit à l’écroulement de pans entiers de l’action associative désintéressée.
Dans ce contexte, quelle proposition peut-on avancer ?
Propositions
Diversifier les modèles de convention
Logiquement, la réglementation antérieure doit continuer de s’appliquer à ces associations en matière de subventions de l’État et de conventions pluriannuelles d’objectifs (circulaire du 1er décembre 2000, circulaire du 24 décembre 2002, circulaire du 16 janvier 2007). Or, le modèle unique de convention annexé à la circulaire se rapporte exclusivement aux activités économiques d’intérêt général, mais prétend viser l’ensemble des subventions aux associations. Les difficultés provoquées par cette circulaire proviennent peut-être d’un travail administratif bâclé, qui a omis de rappeler la réglementation qui reste applicable en dehors du champ des actions économiques. Le collectif des associations citoyennes souhaite qu’un nouveau texte clarifie le régime des subventions qui s’appliquent aux actions non économiques d’intérêt général, et mette en place un modèle de convention pluriannuelle d’objectifs simplifié (par rapport à celui proposé par la circulaire du 18 janvier) adapté à la nature non économique des actions d’intérêt général menées par ces associations. Si nous partageons l’objectif de simplification de la vie administrative, celle-ci ne saurait se traduire par la réduction de toutes les associations à l’état d’entreprise.
Réserver certains secteurs d’activité aux actions non lucratives
L’inquiétude des associations vient également du fait que sans cesse de nouveaux champs de l’action associative sont soumis à la concurrence d’activités privées. Comme le rappelle la circulaire du 18 janvier, l’Union Européenne laisse un rôle essentiel aux États membres pour définir les services d’intérêt général et leur mode d’organisation. La France, contrairement à d’autres pays, n’a pas réservé certains secteurs d’activité à des actions non lucratives, méconnaissant la contribution des activités associatives à la cohésion sociale, à l’éducation, aux solidarités actives ou au renouvellement de la citoyenneté. Un réexamen de cette position apparaît nécessaire, afin de pouvoir développer un certain nombre d’apports essentiels du mouvement associatif à la société. Naturellement, cela suppose de définir un certain nombre de critères, en précisant la notion trop vague d’intérêt général. En première analyse, sous réserve d’un travail qui ne fait que s’amorcer, nous avons annoncé 7 critères :
- – non lucrativité effective (l’activité n’est pas orientée vers l’accumulation des profits ou des parts de marchés),
- – réponse à des besoins sociétaux fondamentaux (ce qui rejoint la réflexion sur le développement durable),
- – transparence et participation démocratique,
- – place importante réservée au bénévolat et l’engagement associatif,
- – solidarité avec le territoire,
- – accessibilité et ouverture à tous,
- – rôle d’éducation citoyenne
Redonner tout son sens à l’engagement associatif
Un certain nombre de dérives ont pu se produire parce que le sens de l’engagement associatif, très présent au cours des 40 dernières années, a eu tendance à s’estomper pour mettre en avant la défense du statu quo lié à la nature juridique des associations. Cela s’est fait au détriment des associations qui restaient porteuses d’un engagement associatif effectif. Or ces associations citoyennes ont un rôle irremplaçable dans la société d’aujourd’hui et dans sa transformation pour qu’elle devienne plus humaine.
Ces débats ont eu le mérite de faire se rencontrer des associations décidées à revenir aux fondamentaux de l’engagement associatif. Un collectif des associations citoyennes s’est constitué, ouvert à tous. Il s’est donné pour objectifs d’obtenir une évolution de la réglementation, de faire des propositions alternatives, de créer des espaces de réflexion et de travail en commun où les associations citoyennes retrouvent la parole. La diversité des signataires de l’appel (éducation populaire, action culturelle, sports, solidarité, citoyenneté, santé, petite enfance, relations internationales, défense des droits, handicap, action locale, etc) montre l’extraordinaire richesse des initiatives citoyennes sur lesquels on peut s’appuyer. On peut aussi s’appuyer sur l’action d’un certain nombre de collectivités qui ont entrepris d’accompagner les actions associatives à travers des politiques associatives. À travers cette démarche, il s’agit de redonner force et conscience aux actions citoyennes désintéressées, qui font respecter les Droits de l’Homme, qui promeuvent des logiques de coopération, de responsabilité et de mutualisation, qui considèrent l’économie comme un moyen au service de la société et non l’inverse et qui construisent avec eux les conditions pour que chacun développe et puisse épanouir ses potentialités.