« L’association, un creuset politique »
« Pour nous au CAC, l’association est politique… » Voici comment commence l’intervention prononcée par Marianne Langlet invitée aux Amfis 2022 à Valence au débat mené avec le député LFI, Carlos Martens Bilongo et l’ancien président du Secours populaire, Richard Béninger, intitulé : « Engagements associatifs, engagements politiques, quel avenir en commun ? » Politique, c’est à dire ? Voici le texte du débat, n’hésitez-pas à nous faire vos retours !
« Pour nous, l’association est politique. Nous, c’est le Collectif des associations citoyennes : 2.500 associations dont 150 réseaux nationaux qui se reconnaissent dans une vision commune du monde associatif et défendent l’importance du fait associatif pour une démocratie.
Pour nous, les associations sont politiques, elles sont partie prenante de la vie de la cité, elles sont des lieux d’émancipation, de débat, d’éducation populaire, de confrontations et de partages, de lutte collective, de création de droits et de savoirs issus de l’expérience et à ce titre des lieux citoyens de création politique, des creusets pour expérimenter de futures politiques publiques.
S’il ne fallait prendre qu’un seul exemple parmi de nombreux autres, nous pourrions prendre celui de la proposition de sécurité sociale de l’alimentation portée depuis plusieurs années par un collectif qui réunit acteurs associatifs et chercheurs.
C’est une proposition solide d’alternative à notre système d’aide alimentaire actuelle qui est non seulement très stigmatisant et avec des systèmes de contrôle souvent dégradant mais permet également au système agro-industriel d’écouler sa surproduction, voire de la rendre rentable puisque le surplus qu’elle donne à l’aide alimentaire lui permet de défiscaliser à hauteur de 60% de la valeur du don.
En quelque sorte, il freine une véritable remise en question du modèle agro-industriel actuel qui n’est pourtant plus compatible avec les enjeux de bifurcation écologique.
C’est à partir de ce constat et de la nécessité de faire respecter le droit à l’alimentation en France (qui n’est pas le doit de mal se nourrir) que s’est construite cette proposition de sécurité sociale de l’alimentation.
Elle permettrait à la fois de répondre aux enjeux d’accès à une alimentation de qualité, de soutien à l’agriculture paysanne, de démocratie alimentaire. Elle prend modèle sur le système de sécurité sociale tel qu’il a été construit au sortir de la seconde guerre mondiale sur le principe :
- d’universalité (il ne s’agit pas de construire une (pauvre) politique publique pour les pauvres mais de créer un nouveau droit à l’alimentation pour tous, comprenant un droit de regard et de choix sur la manière dont les aliments sont produits, transformés, distribués ) ;
- de conventionnement démocratique des produits par des caisses locales basées sur des questions comme : Quels critères pour définir collectivement ce qui peut être considéré comme un « bon produit » ? Quelles implications en terme de conditions de travail et de rétributions des producteurs et de l’ensemble des agents de la chaîne ? Quelles conséquences attendues au regard des enjeux de pollutions des eaux, de réchauffement climatique, de respect de la biodiversité ? et bien d’autres qui implique aussi tout un travail d’éducation populaire ;
- et enfin de cotisation sociale sur la valeur ajoutée du travail qui permettrait la redistribution d’une somme évaluée aujourd’hui à 150 euros par mois et par personne.
Ce rôle politique des associations, de contre-pouvoir, de revendications et de critique des systèmes en place, gêne l’économie néolibérale qui contre-attaque en plaçant l’État et les associations à travers lui en posture d’outils au service du néolibéralisme. Un moyen de les priver de leur caractère politique.
Pour Jean-Louis Laville, professeur au CNAM, spécialiste de l’économie solidaire, « la dépolitisation et la technocratisation des associations sont au cœur du projet théorisé par l’économiste du libéralisme Friedrich Hayek, le désengagement de l’Etat doit être pour lui couplé avec un affaiblissement des collectifs contestataires et leur remplacement graduel par un tiers secteur composé d’associations prenant en charge au moindre coût « beaucoup de choses que nous croyons actuellement devoir attendre du gouvernement » (Hayek) » (Jean-Louis Laville : Réinventer l’association – contre la société du mépris).
L’association devient alors simple exécutante de politiques publiques décidées sans elle. Cet affaiblissement des associations et avec elles du possible contre-pouvoir, de creuset politique, qu’elles peuvent représenter passe, selon nous, par trois axes : la mise à mal de la liberté d’association, l’instrumentalisation et la marchandisation.
Nous portons avec d’autres associations, l’observatoire des libertés associatives qui -ces dernières années- a recensé de nombreux cas de répressions voire de dissolutions d’associations ; le premier rapport de l’observatoire qui s’intitulait « une citoyenneté réprimée », sorti en 2020, recensait une centaine de cas d’entraves et de répression contre des associations. Une situation qui pourrait demain s’accélérer via le nouveau contrat d’engagement républicain (CER) que porte la loi séparatisme. Si jusqu’alors une partie des répressions recensées sortaient du cadre légal comme le pointait le rapport de l’observatoire des libertés associatives, le CER comble désormais ce vide juridique et pourrait désormais rendre légitime ces répressions.
Cette loi oblige désormais toute association à signer un contrat où elle s’engage à respecter les principes de la République lorsqu’elle fait une demande d’agrément ou de tout type de soutien public, financier ou en nature. Or nous pensons que les associations sont des espaces qui participent à faire vivre les valeurs de la République, nul besoin de contrat pour l’affirmer sauf à vouloir jeter un climat de suspicion sur le monde associatif qui permet de le décrédibiliser ou à s’offrir un nouvel outil de répression possible sur des associations jugées trop dérangeantes.
La mise en place de ce contrat renforce un climat de défiance entre le pouvoir en place et le monde associatif tout en accentuant une vision de l’association comme simple outil d’action sur le terrain : elle doit être obéissante aux objectifs fixés par le pouvoir en place. Cette instrumentalisation des associations est accentuée par un modèle de financement qui privilégie de plus en plus la commande publique, via les appels d’offre, sur les subventions.
Selon la dernière enquête sur le paysage associatif français menée par Viviane Tchernonog, les subventions dans les ressources associatives sont passées de 34% en 2005 à 20% en 2017. Les ressources privées augmentent, elles, à un rythme très rapide, d’abord via les participations des usagers (42% des ressources), les cotisations (9%), les dons et le mécénat (5%). « De plus en plus, le service associatif s’achète », souligne la chercheuse.
Le développement des appels d’offre au détriment de la subvention change le rapport de l’association aux pouvoirs publics, la pousse à devenir prestataire de service, l’engage dans des appels qui orientent son action associative sur les besoins et les orientations politiques fixés par le pouvoir en place avec les moyens financiers qu’il lui accorde.
C’est particulièrement visible dans le champ du social, dans le champ de la demande d’asile, par exemple, ou de la reconnaissance de la minorité pour les mineurs isolés étrangers. L’accueil des demandeurs d’asile dans les centres d’accueil a ainsi vu le taux d’encadrement par des travailleurs sociaux baisser au fil des années avec des exigences de contrôle de plus en plus fortes ; pour l’accueil des mineurs isolés étrangers, les prix de journée fixés par les appels d’offre sont bien en dessous de ceux proposés dans le cadre habituel de la protection de l’enfance (elle aussi déjà très mal en point), dont ces enfants relèvent pourtant selon la loi.
Dans ce contexte, les travailleurs sociaux ne cessent de hurler qu’ils n’arrivent plus à remplir leur mission qui est d’abord une mission d’émancipation et d’accès aux droits des personnes. Les professionnels alertent sur leur mal être au travail, dû aux conditions de travail dégradées puisqu’il faut toujours faire plus avec moins mais aussi à la perte de sens de leur métier.
Il nous semble donc essentiel de revenir sur des principes de co-construction qui guident l’action associative depuis toujours notamment avec les élu.es progressistes, un point de vue que nous défendons en particulier en tant que rédacteur de la mesure 30 du Pacte pour la transition qui propose de « co-construire avec tous les acteurs concernés une politique associative locale volontariste pour soutenir les initiatives associatives et citoyennes et protéger leur rôle critique et délibératif ».
Il nous semble également essentiel de défendre ce que nous appelons un « socle de sérénité » qui permettrait de revenir à un financement de l’association pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle fait, parce qu’aujourd’hui nous sommes dans des types de financements qui se calquent sur les financements aux résultats.
On peut dater des années 80 cette arrivée de la culture du résultat, de la rentabilité, de l’efficacité économique dans le monde associatif avec l’entrée du New public management dans les politiques publiques. Ce nouveau management pousse de plus en plus les associations à suivre les logiques du marché, à se calquer sur les modèles de fonctionnement des entreprises privés.
Au Collectif des associations citoyennes, un de nos axes de travail est la lutte contre cette marchandisation qui fait perdre à l’association son essence, et notamment le principe de non-lucrativité. Un principe qui ne signifie pas que l’association n’est pas un acteur économique, au contraire, elle est même un acteur économique de taille, elle produit de multiples richesses, mais elle ne s’inscrit pas – du moins c’est notre position – dans une logique d’économie de marché libéral. Or ce principe est aujourd’hui fortement attaqué. Parce que le monde associatif (d’ailleurs je devrais plutôt dire les mondes associatifs parce que ce n’est pas un monde uniforme, pas forcément tous d’accord) est percuté par le courant de l’entrepreneuriat social, des associations qui se revendiquent comme des entreprises à but social et mettent en place des techniques de management du secteur privé, s’inscrivent dans une volonté d’expansion, de changement d’échelle, d’efficacité entendu de rentabilité.
Ce courant de l’entrepreneuriat social importe en France la notion d’investissement à impact social venu du monde anglo-saxon qui pousse très loin la logique de marchandisation de l’action associative. Là encore, il y a toute une bataille à mener ensemble pour lutter contre cette vision marchande de l’association qui va jusqu’à transformer l’action associative en produit d’investissement financier avec retour sur investissement.
Derrière cette notion d’investissement à impact social et d’entrepreneuriat social monte l’idée qu’il pourrait y avoir un capitalisme d’intérêt général (une appellation notamment revendiquée par Jean-Marc Borello, le président du groupe SOS, un des mastodontes de l’entrepreneuriat social, qui en a fait le titre d’un de ses livres) où le marché résoudrait les problématiques sociales via des techniques financières.
L’investissement à impact social est de celles-là, il prévoit des mécanismes qui permettent à des investisseurs privés (notamment des banques et des assurances) de placer de l’argent dans des programmes sociaux et, en fonction de l’atteinte d’objectifs fixés selon des mesures d’impact social, ils récupèrent leur investissement avec des taux de retour qui tournent autour de 4 à 6% en France mais qui pourraient demain atteindre les niveaux déjà observés à l’étranger, notamment en Angleterre, de 10% à 13% de retour sur investissement.
Au centre de ce mécanisme, la notion de mesure de l’impact social qui permet de définir sur quels objectifs précis, l’action est considérée comme réussie. L’attente de ces résultats pré-définis déclenche le paiement (et le calcul des intérêts) pour les investisseurs.
La notion de mesure d’impact social est donc intimement liée à ce mécanisme financier. Or, aujourd’hui, mesurer l’impact social est devenu une injonction courante des financeurs tant publics que privés.
Ce mot entre de plus en plus dans le langage courant des associations, s’invite comme une évidence pour réussir à faire la preuve que l’action est efficace.
Toute une dynamique se développe pour rendre cette notion culturellement acceptable : colloque, journée d’étude, webinaire… L’État encourage aussi cette tendance, un très récent rapport gouvernemental intitulé « évaluation des actions associatives » encourage l’utilisation de la mesure d’impact social. Il est sorti au mois d’avril dernier, écrit entre autre par le cabinet de conseil KPMG, un des cabinets qui accompagne les investissements à impact social en France.
La mesure d’impact s’impose donc comme incontournable et neutre pour rendre visible l’utilité sociale des associations. En réalité rien de moins neutre que cette notion qui permet la marchandisation tranquille de l’action associative et dépolitise tout le secteur de l’action associative.
Face à cela, nous avons construit au CAC un observatoire de la marchandisation de l’action associative et de l’investissement à impact social, un espace qui peut aussi être un lieu de mobilisation commune entre associatifs et politiques.
Ces trois axes sont donc les vecteurs d’un affaiblissement du monde associatif qui, à mon sens, affaibli dans le même temps les espaces possibles de rencontre des citoyens avec la politique ».
Marianne Langlet du Collectif des associations citoyennes