LE KLAXON #14 [mai 23]
Petit frère de notre « Heure de la Sirène« , le « Klaxon » viens chaque mois avertir sur les avancées de la marchandisation des associations, des investissements à impact social mais aussi sur les contre-feux proposés par les associations.
Newsletter de notre tout récent Observatoire citoyen de la marchandisation des associations (OCMA), retrouvez les premiers numéros ci dessous.
N’hésitez pas à transmettre vos informations sur le sujet ou à demander votre inscription pour la recevoir auprès de : marianne[arobase]associations-citoyennes.net
Le Klaxon !
Marianne, ne vois-tu rien venir ? Cette feuille vous tiendra régulièrement informés de mes observations, rencontres, actualités autour de la marchandisation et de la financiarisation de l’action associative via les investissements à impact social. Elle devient petit à petit la newsletter de l’observatoire de la marchandisation des associations en accueillant vos textes. N’hésitez pas pas à me faire des suggestions, me signaler vos infos et à enrichir cette lettre par vos contributions, textes, témoignages, réactions…
#14 – Mai 2023
Version PDF du Klaxon #14
Remous dans l’ESS
L’arrivée à la tête du Mouvement Impact France (MIF) de Pascal Démurger de la MAIF en ouvrant grand ses portes à des entreprises comme Doctolib, KPMG ou encore l’Occitane (voir Klaxon #13), crée de grands remous au sein de la grande « famille » de l’économie sociale et solidaire.
Le 7 mai dernier, certains membres (dont des fondateurs) du MIF comme les anciens présidents du Mouves, Jonathan Jérémiasz ou Christophe Itier, dénonçaient dans une tribune publiée dans le JDD la dilution des valeurs de l’ESS dans ce « virage stratégique » annoncé. Ils soulignent qu’ils avaient déjà alerté en 2020 lorsque le Mouvement des entrepreneurs sociaux (le Mouves) se renommait le Mouvement Impact France « en ambitionnant d’intégrer aux côtés des entrepreneurs sociaux, des entreprises dites « en transition » ». Aujourd’hui, ils refusent de voir le mouvement affaibli « par un élargissement non maitrisé vers ceux qui se réclament trop légèrement de l’impact, à terme source inévitable de social, green, ou impact washing : quand tout est « à impact », plus rien n’a d’impact » …
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Une nouvelle charte au Transiscope
Vous connaissez le Transiscope ? Ce portail web des alternatives se construit avec un collectif de 12 réseaux et associations dont le Collectif des associations citoyennes. Il organise régulièrement des Transiscothons pour faire avancer le projet qui vise à recenser et cartographier, via des outils libres, les alternatives sur les territoires pour mieux les relier et les renforcer.
Mais qu’est-ce qu’une alternative ? Parmi les multiples travaux du Transiscope, la maturation de la charte qui la définissait a fait l’objet de nombreux débats. L’un d’eux portait sur l’ouverture ou non du périmètre des alternatives aux entrepreneurs sociaux et le remplacement du mot « alternatives » par « initiatives » (possiblement entrepreneuriales). Au Collectif des associations citoyennes, notre long travail sur la marchandisation, nous amène à estimer que le vocable « entrepreneuriat social » n’est pas neutre. Popularisé par le fondateur d’Ashoka, Bill Drayton, dans les années 80, il appelle à une hybridation entre associations et entreprises. Bill Drayton vient notamment du cabinet Mc Kinsey et son organisation Ashoka encourage la création d’un écosystème favorable aux entrepreneurs sociaux appelés à changer le monde sans remettre en cause le système économique dominant.
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À lire, À voir
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#13 – Avril 2023
Version PDF du Klaxon #13
Impact France ouvre grand ses portes aux entreprises
Le 4 avril dernier, le mouvement Impact France (MIF) a renouvelé son conseil d’administration et choisi un nouveau binôme pour sa présidence. Rappelons que le mouvement Impact France est issu du Mouves, le mouvement des entrepreneurs sociaux créé en 2010 par le groupe SOS et présidé alors par Jean-Marc Borello, le président du Groupe SOS. Ce dernier voit dans le « capitalisme d’intérêt général » (le titre d’un de ses luvres) qu’il défend un moyen de résoudre par le capitalisme les problèmes que le capitalisme engendre (Pour creuser le sujet, voir cet article du syndicat Asso). Le modèle pour y arriver : l’entrepreneuriat social, forme hybride entre association et entreprise qui calque le modèle de l’entreprise jugé plus efficace.
L’assureur Pascal Démurger de la MAIF arrivera donc à la tête du mouvement avec Julia Faure, cofondatrice de Loom, une marque de vêtements, le 24 mai prochain. Le tandem veut faire entrer au conseil d’administration des entreprises comme Doctolib, KPMG, ou l’Occitane tout en gardant bien sûr une place importante au groupe SOS. Il propose un siège au CA à Anne de Bayser, ex-sécrétaire générale adjointe d’Emmanuel Macron à l’Elysée et désormais présidente de la branche solidarité du groupe SOS.
L’arrivée de ce tandem à la tête du mouvement fait réagir en son sein….
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Un fonds pour les contrats à impact
Le 14 mars dernier, Citizen Capital, un fonds d’investissement à impact, a lancé un fonds dédié aux contrats à impact social. Le Fonds européen d’investissement et la banque européenne d’investissement mais aussi la Société générale et des fondations privées abondent ce fonds qui s’élève à 14 millions d’euros. Cet argent sera investi dans les contrats à impact actuellement en construction (voir le tableau p.46 de notre rapport – actuellement 19 CIS sont en cours de construction ou de signature entre L’État et des associations)… Lire la suite dans la Version PDF du Klaxon #13
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Réflexions après une journée consacrée aux Tiers lieux
« Faire des Tiers-lieux des communs de proximité ». Le 5 avril, la Césure – nouveau Tiers-lieu de la Capitale installé dans l’ancienne fac de Censier – accueillait une journée de réflexion sur cette thématique. Vous trouverez ici quelques éléments et des réflexions partielles après cette journée. L’économiste Benjamin Coriat, membre de la Coop des communs, a rappelé qu’un commun de proximité, selon lui, s’appuyait sur une structure autogouvernée, émergente et dépendante de la communauté où elle émerge et non d’un agenda extérieur. Ce commun produit de l’utilité sociale et environnementale et a un ancrage territorial lié notamment à la communauté qui le fait vivre. Dès lors que ce rapport à la communauté (au sens de faire commun) et au territoire se perd « alors le Tiers-Lieux devient une entreprise ou une start-up ». Mais comment faire vivre ces Tiers-lieux dans le cadre économique actuel ? Partout court l’injonction aujourd’hui centrale : les associations, les Tiers lieux doivent chercher leur modèle économique. Derrière cette recherche se cache la baisse constante des subventions ou leur passage par la moulinette des appels à projet qui se rapprochent de plus en plus des appels d’offre et de la commande publique. Les associations sont sommées de trouver d’autres ressources pour pouvoir vivre.
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À lire, À voir
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#12 – Mars 2023
Version PDF du Klaxon #12
L’Observatoire sort son premier rapport
Le 17 février dernier, nous présentions le premier rapport de l’Observatoire citoyen (OCMA), intitulé « Marchandisation et financiarisation des associations ». Vous pouvez retrouver la conférence de presse en ligne et le rapport à télécharger.
Le rapport en quelques lignes
« Nous avons été frappé par des logiques de marché et il nous fallait les comprendre », la phrase de Claire Bizet du Mouvement associatif des Hauts de France peut résumer l’objectif de ce premier rapport. Un autre objectif était de montrer comment ces logiques traversent tous les secteurs associatifs avec, au final, un effet similaire de dépolitisation et de désamorçage de leurs capacités émancipatrices et subversives.
Ces logiques de marchés nous tentons de les décrire en deux temps dans ce rapport. Une première partie s’attache au processus de marchandisation notamment insufflé par la politique européenne qui en créant un marché unique regarde les associations comme des entreprises. En France, cela se traduit par le recul de la subvention au profit des appels d’offre et appels à projets avec pour conséquences la mise en concurrence des associations, le financement par projet, la transformation en prestataire de service, le fusionnement des associations en grand groupe… La montée de la notion d’entrepreneuriat social qui floute les différences entre associations et entreprises en est un autre effet. Elle revendique l’introduction dans les associations des techniques de gestion du privé lucratif présentées comme plus efficaces. … lire la suite dans le pdf
Moments choisis de la conférence de presse
Comment cette marchandisation et cette financiarisation s’inscrivent dans le champ culturel, de la solidarité internationale ou encore du travail social ? Patricia Coler de l’UFISC (Union fédérale d’intervention des structures culturelles) observe une « invisibilisation du fait associatif » dans le champ professionnel culturel et artistique alors qu’il existe 40 000 associations employeuses. Elle note une « disqualification de ces structures » au travers notamment du rapport Hearn qui, en 2015, mettait en avant la notion d’entrepreneuriat culturel. Ce pendant culturel de l’entrepreneuriat social se présente comme plus performant, plus rentable et « nie la capacité des associations », nie « la dynamique associative qui créée sa propre spécificité économique en articulant questions politiques et économiques, initiative citoyenne et économie vivrière, non-lucrativité et capacité à hybrider un certains nombres de ressources au service de projets qui ont un sens notamment sur la mise en exercice des droits fondamentaux des personnes ».
Céline Méresse du CRID (Centre de Recherche et d’Information pour le Développement) s’interroge sur une « hyper-professionnalisation » des grosses associations qui tend à encourager l’embauche d’ « hyper techniciens » pour répondre aux appels à projet et appels d’offre des bailleurs de fonds. Elle souligne la nécessité d’un regard critique sur ces appels, sur toute la terminologie, désormais intégrée dans les organisations, liée aux techniques de management. Elle regrette le manque d’animateurs politiques qui puissent apporter une analyse systémique de ce que serait un projet de transformation sociale.
Tout comme Maël Pousset du MRJC (Mouvement rural de la jeunesse chrétienne) qui rappelle que les associations embauche désormais des personnes chargées de trouver des fonds et répondre aux appels à projet, Céline Méresse souligne l’importance du temps passé « à gérer des process », à remplir par exemple des « fiches de temps pour justifier le temps passé à calculer les impacts sur les territoires ». « Beaucoup trop de temps est passé à répondre à la contrainte du bailleur », d’autant plus quand les bailleurs « imposent de dévoyer des concepts qui sont pour nous ceux de l’émancipation comme par exemple l’empowerment, l’intersectionnalité ». Ces concepts repris par les bailleurs sont vidés de leur sens politique. « Lorsqu’on a une visée technique à l’endroit de ces concepts, on les vide de ce qui fait leur côté subversif ». « On perd alors notre capacité d’émancipation »… lire la suite dans le pdf.
Soutien à la parentalité marchandisé ?
Le 15 avril 2022, une mission a été confiée par la Direction générale de la cohésion sociale à Anne Raynaud (directrice de l’institut de la parentalité) et Charles Inglès (Caf de la Gironde) pour « définir les compétences socles attendues pour les professionnels et bénévoles » intervenant dans le soutien à la parentalité suscitant la réaction de plusieurs associations nationales qui interviennent depuis longtemps dans ce champ. Un collectif de douze réseaux associatifs (dont l’Acepp, ATD Quart Monde, l’Uniopss, la Fédération des centres sociaux) a rédigé une contribution commune adressée au ministère des Solidarités et à la Direction générale de la cohésion sociale. Il craint « une standardisation des actions proposées aux parents et une possible marchandisation du soutien à la parentalité ». Le texte appuie sur la nécessité d’une diversité de dispositifs et de professionnels. Et s’interroge : « la responsabilité des pouvoirs publics est-elle de définir un socle commun de compétences ou plutôt de veiller à répondre à la pluralité des besoins et des attentes des familles ? ». Les associations mettent en garde : « il faut se garder des illusions technocratiques qui voudraient que l’on puisse harmoniser et standardiser les connaissances et les compétences nécessaires » dans le soutien à la relation humaine entre un parent et son enfant. Cette standardisation, même si elle est officiellement portée dans une volonté de recherche de qualité, « induit mécaniquement un processus d’industrialisation de l’offre qui, paradoxalement, de peut que l’appauvrir », soutien le collectif d’associations qui s’appuie sur les mêmes processus observés dans d’autres champs. En outre, ce processus permet au marché – le secteur du soutien à la parentalité attire de nombreux acteurs du privé lucratif – de mettre « à disposition des produits standardisés prêts à être consommés » qui place le parent en posture de consommateur. Cela « assécherait alors l’implication et les capacités d’auto-organisation des parents » ce qui va totalement à l’encontre du principe même de soutien à la parentalité. « Plutôt que de chercher à substituer un secteur privé lucratif à ce qui existe déjà, ou contribuer à transformer la nature de ce qui est proposé, les politiques publiques ne devraient elles pas envisager d’améliorer la santé du secteur associatif ? »
L’enfant n’est pas une marchandise
Le 8 mars (date symbolique !), quatre salariées du réseau de crèches privées People and baby étaient entendues par la cour de cassation où elles espèrent que justice soit faite, épilogue d’un long combat. En 2006, la crèche associative Giono avait été reprise, tout comme d’autres crèches associatives parisiennes, par l’entreprise privée People and Baby. Créée en 2004, cette dernière compte environ 700 établissements en France ; en 2019 son chiffre d’affaires est de 84,2 millions d’euros. Elle a bien profité de l’ouverture aux crèches privées lucratives du secteur jusqu’alors essentiellement porté par les associations et le secteur public, et de l’octroi d’aides publiques.
Dans l’ancienne crèche Giono, les conditions de travail se dégradent et en 2009, une section syndicale CNT est créée. « La politique managériale de l’entreprise impacte à la fois les projets pédagogiques et la qualité d’accueil des jeunes enfants », souligne la CNT. Les salariées se mobilisent et se mettent en grève. Cette mobilisation n’est pas du goût de l’entreprise qui, en 2010, licencie quatre salariées mobilisées entrainant une série de manifestations, pétitions, occupation de la crèche… Les salariées passent au Prud’hommes en 2017 qui condamne People and baby pour discrimination syndicale et annule les licenciements. En 2018, les indemnités de réparation sont versées mais l’entreprise fait appel et la cour d’appel annule le jugement des prud’hommes et oblige les salariées à reverser leurs indemnités… lire la suite dans le pdf.
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#11 – Février 2023
Version PDF du Klaxon #11
Appel à contributions
Marchandisation, financiarisation, comment cela résonne dans vos pratiques au quotidien ? Comment analysez vous ces deux phénomènes vus de votre association ? Quelle expérience de ces deux processus pouvez-vous nous partager ? Nous voulons ouvrir les colonnes du Klaxon et une partie dédiée du site de l’observatoire à vos témoignages, analyses, propositions de texte… Envoyez-les nous à marianne@associations-citoyennes.net
La mesure au Sommet
L’Assemblée nationale, sa présidente, cinq ministres et secrétaires d’Etat, des anciens ministres, 3000 personnes inscrites pour 350 places… en termes de démonstration de force, le Groupe SOS frappe fort. Son Sommet de la mesure d’impact, le 13 février à Paris, avec son slogan « pour bâtir un new deal de l’impact », veulent convaincre que le « capitalisme à impact » est la bonne solution pour résoudre les maux du monde.
L’impact Tank du groupe SOS avec des alliés comme par exemple la banque JP Morgan (championne du monde de l’investissement carbone selon le rapport Banking on climate chaos) ou BNP Paribas (classée par le rapport Oxfam comme l’une des plus polluantes) nous assurent qu’ils ont « la solution » face aux enjeux écologiques et sociaux avec un outil financier : l’investissement à impact construit sur la mesure d’impact. La technologie financière va sauver le monde…
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L’impact genré vu du Canada
Nos amis canadiens sont largement « en avance » sur nous sur la question de l’investissement à impact social. Il semble, chez eux, bien plus encore que chez nous, faire partie du paysage associatif. Et ils développent un nouveau type d’investissement : l’investissement à impact genré. Il représenterait en 2019, 5 milliards de dollars sur 715 milliards de dollars du marché mondial de l’investissement à impact. Kesako ? Lire la suite dans le PDF
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#10 – Janvier 2023
Version PDF du Klaxon #10
Sortie du premier rapport de l’observatoire
« L’association marchandisée », sera le titre du premier rapport de l’Observatoire citoyen de la marchandisation des associations (OCMA). Il sortira le 17 février prochain et nous vous invitons ce jour-là à sa présentation à 11h dans les locaux du Collectif des associations citoyennes (108 rue Saint-Maur, Paris 11). Nous avons ouvert les colonnes de la postface de ce rapport à quelques textes de réflexion et, avant la sortie du rapport, nous vous présentons (en avant-première !) le texte de Jean-Michel Lucas, membre fondateur du laboratoire de transition vers les droits culturels. Il nous donne à voir le contrat à impact social au prisme des droits humains fondamentaux.
[Infos et détails pour la présentation officielle le 17/02 ICI]
Le contrat à impact social : erreur et faute
Par Jean-Michel Lucas[1]
Les Contrats à impact social (CIS) sont une « bonne » idée, en tout cas pour des gestionnaires de fonds publics dont la seule préoccupation est de dépenser « efficacement » l’argent du contribuable. Rappelons l’argument dans sa simplicité : lorsque le responsable public est confronté à une situation sociale qu’il ne sait pas régler avec ses méthodes habituelles, il lui faut innover. Or, il n’est pas facile de mobiliser de l’argent public pour engager des actions nouvelles dont on ne sait pas vraiment si elles résoudront le problème. Le gestionnaire serait vite accusé de gaspiller l’argent du contribuable si l’action était sans efficacité. …
[1] Membre fondateur du laboratoire de transition vers les droits culturels
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#9 – Décembre 2022
Version PDF du Klaxon #9
Un nouveau contrat à impact dans le Nord ?
Le département du Nord s’apprête à lancer un contrat à impact social (CIS). Le 21 novembre dernier, ce projet était débattu lors d’une session du conseil départemental. La banque BNP Paribas, déjà présente sur une grande partie des contrats à impact actuellement en cours de structuration ou de mise en œuvre en France, investira 5,1 millions d’euros dans un projet de trois ans porté par l’association Positiv Planet. Cette association, lancée par l’économiste Jacques Attali, devra réaliser une étude sur les 6 500 autoentrepreneurs actuellement au RSA pour évaluer si leur projet est viable ou non. Elle accompagnera également 1000 autoentrepreneurs ou allocataires du RSA vers la création d’une entreprise pour qu’ils sortent du RSA.
Lors de la délibération du projet, les élus écologiques du département ont dénoncé une « logique de financiarisation et de libéralisation du financement de l’action sociale ». Ils se sont appuyés sur un avis rendu en 2016 par le Haut conseil à la vie associative (HCVA) lors du lancement de ces contrats en France. Il pointait « les coûts de gestion importants de ces dispositifs ». « Jusqu’à ce jour, les investissements à impact social ont constitué des instruments coûteux. Ils ont comporté des coûts de transaction significatifs que les parties prenantes doivent prendre en considération avant de se lancer […] Il n’est pas évident que ces montages complexes qui visent à organiser autrement le financement de projets se révèlent profitables au final pour la collectivité »…lire la suite sur cette page
L’investissement à impact social
Lors du lancement de l’observatoire citoyen de la marchandisation, le socio-économiste, Sylvain Celle explique cette notion. « L’investissement à impact social est le principal cheval de Troie de la marchandisation du secteur associatif. La notion de mesure d’impact social tend depuis quelques années à remplacer l’ancienne catégorie d’utilité sociale utilisée par les associations et les pouvoirs publics depuis les années 80. Ce passage du terme d’utilité sociale vers la notion de mesure d’impact social n’est ni neutre, ni anodin.
L’investissement à impact social et la mesure d’impact social ont été largement promus par deux acteurs : d’un côté par les pouvoirs publics qui sous l’impulsion du New public management sont poussés à agir et penser comme des entreprises privées donc vont utiliser le langage de l’investissement, de l’évaluation, etc… De l’autre côté, il y a des acteurs financiers comme des banques et des fonds de pension qui cherchent aujourd’hui à réorienter leurs investissements vers le social, devenu un nouveau secteur lucratif.
…..lire la suite sur cette page
Intervention de Sylvain Celle, socio-économiste, lors du lancement de l’Observatoire à la fête de l’Huma le 11 septembre 2022.
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Marlène Schiappa signe son premier CIS
Le 8 décembre, la secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, solidaire et de la vie associative, a signé son premier contrat à impact social (CIS) avec Envie économie, réseau d’insertion par l’activité économique, qui propose de collecter, réparer, reconditionner des appareils médicaux (type fauteuils roulants, lits médicalisés…) puis de les revendre à moins 70%, 50% de son prix neuf. Ce projet entrait dans l’appel à projet sur les CIS lancé par l’Ademe en 2020. Envie autonomie avait déjà signé un protocole d’engagement en mars 2022. Ce CIS doit lui permettre de « changer d’échelle » pour passer au niveau national (voir Klaxon n°2). Pour cela, il obtient 4,9 millions d’euros pour 5 ans. Ses indicateurs sont posés : créer 204 emplois dont 95 en parcours d’insertion ; éviter l’émission de près de 14 000 tonnes de CO2 en reconditionnant du matériel ; recycler 4083 tonnes de matériel. Les investisseurs sont BNP Paribas, Asset Management, la Banque des territoires, le groupe Relyens, Esfin Gestion, Inco Invest, AG2R la Mondiale. Ce CIS sera évalué par le cabinet Citizing.
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Le Groupe SOS et ses mille cafés
Le programme « 1000 cafés » lancé par le groupe SOS proposait de « réinventer le café du village » en accompagnant des projets de réouverture de commerces de proximité sous forme de cafés multiservices. Le programme est financé par des fonds propres au groupe SOS, des entreprises privées (comme par exemple Pernod Ricard, Kronenbourg, Coca-Cola, LeBonCoin, Veolia, le PMU, la Maif et la Sacem). L’Etat finance également via l’agence nationale de la cohésion des territoires.
Le programme doit mettre en lien des mairies volontaires qui proposent un local, loué ou racheté par le groupe SOS. Ce dernier finance un salarié sur la base du smic pour tenir le commerce. « Le projet « 1 000 cafés » commence par de belles promesses avec la visite du délégué régional de SOS pour se faire une idée du village, vérifier le bâtiment commercial, l’état du matériel, le logement… Puis les négociations s’ouvrent sur le prix d’achat ou de location du site, sur les travaux et sur la rémunération. Les élus découvrent aussi rapidement qu’ils n’ont pas toute la maîtrise du projet. A La Dornac, le maire a appris après leur recrutement que les futurs gérants de La Table des saveurs n’avaient aucune formation cuisine. Ce qui a provoqué de houleux débats entre les élus locaux », soulignait en 2020 un article du Monde sur ce programme. Il s’interrogeait sur le fait que la « SAS « 1 000 cafés », signataire de tous les contrats de gérance, tisse ainsi un nouveau réseau de commerces avec licence IV, avec ses fournisseurs et les salariés d’une structure dont l’associé unique est « 1 000 cafés ». Le Groupe SOS joue le rôle d’administrateur et de centrale d’achat »….lire la suite sur cette page
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CONTREPOINTS
En vue, le premier rapport de l’observatoire
L’observatoire citoyen de la marchandisation des associations prépare son premier rapport qui devrait sortir en début d’année prochaine. Conçu en deux parties, la première visera à décrire le processus de marchandisation, sa définition, son histoire. Si les conséquences de cette marchandisation sont grandes pour les associations directement concernées par les appels à projet, les marchés publics ou l’arrivée dans leur secteur d’acteurs du privé lucratifs, elles touchent également tout le champ associatif par des injonctions à la performance et à des logiques de concurrence, en floutant les frontières entre entreprise et association.
Une deuxième partie du rapport plongera dans le processus de financiarisation marqué par l’arrivée de la notion d’investissement à impact qui prône que désormais il est possible de « faire le bien et du profit ». Le contrat à impact social reste l’un des principaux outils de cette nouvelle finance… lire la suite sur cette page
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À lire, À voir
* Une grande enquête sur les fonds dits « durables » menée par une dizaine de médias européens -dont le Monde- a décortiqué le contenu de 838 d’entre eux. Ces fonds promettent des placements qui allient impact écologique positif et retour sur investissement confortable (cela ne vous rappelle rien ?). Ces placements attirent les foules (riches) et ces dernières années, ces produits « verts » ont explosé. L’enquête dévoile que ces placements, non seulement restent très éloignés du vert, mais financent même parfois des entreprises très polluantes.
* Dans une tribune publiée par Le Monde le 27 novembre, Jean-Louis Laville complète la réflexion portée par l’enquête ci-dessus. Selon lui, « la collusion entre élites économiques et politiques entretient l’inaction face aux dérèglements climatiques ». Les faits viennent sans cesse contredire le « récit d’entreprises qui seraient devenues conscientes des risques globaux ».
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#8 – novembre 2022
La mesure de l’impact, un mythe ?
Texte issu de l’intervention de Thibault Guyon, docteur en sciences économiques, chargé de recherche et transfert à l’institut Godin lors de la réunion de l’Observatoire du 27 octobre 2022.
A partir de 2014, l’Institut Godin est interpellé sur cette notion de mesure d’impact social, il observe son importance grandissante dans le champ associatif et cherche à saisir la notion, comprendre d’où elle vient. Or, l’institut ne parvient pas à revenir aux sources du concept, d’où vient-il ?
Il étudie alors toute une littérature grise, des manuels, rapports, guides qui traitent de la mesure de l’impact social et retrouve avec perplexité toujours les mêmes notions, les mêmes mots pour définir la mesure d’impact social. Il observe que les rapports se citent entre eux sans retrouver la racine d’une définition de cette mesure d’impact. Il retrouve également une définition qui passe par la notion de théorie du changement, une gestion axée sur les résultats, avec l’idée que la mesure de l’impact social repose sur un lien
causal entre les ressources et les impacts.
L’idée, là encore source de perplexité, est qu’il est possible de repérer les liens causaux entre ces différentes catégories jusqu’à l’impact qui vise à objectiver les effets uniquement imputables à cette organisation. « Or, en tant que chercheur, nous savons comme il est difficile de trouver des liens de causalité, les expliquer puis les prouver. Pourtant, dans ce cadre, il est présenté comme simple et possible à une échelle organisationnelle d’isoler des impacts. Cela nous a interpellé et laissé perplexe », témoigne Thibault Guyon de l’institut Godin.
Processus de laboratoire
Dans cette littérature grise, les travaux de l’économiste Esther Duflo sont souvent cités. Elle a remis au goût du jour les méthodes d’expérimentations aléatoires en les appliquant à la lutte contre la pauvreté. Ces expérimentations tentent de répondre à la question : qu’est-ce qu’il se serait passé si aucun traitement n’avait été administré, aucun programme mis en place ?
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#7 – octobre 2022
L’Europe marchande ?
Vers un statut associatif européen ? L’idée n’est pas nouvelle mais elle a été récemment relancée par l’adoption le 17 février 2022 par le Parlement européen d’une résolution contenant des recommandations à la Commission sur un statut pour les associations et organisations à but non lucratif européennes transfrontalières. La bataille est vitale pour les associations car au nom de la concurrence libre et non faussée, l’Europe pousse à regarder les associations comme des éléments d’un marché intérieur et les soumet dans ce cadre aux mêmes règles que les entreprises.
Les forces progressistes européennes tentent de défendre le statut associatif mais semblent avoir renoncé à les intégrer dans le spectre des activités d’intérêt général protégées du marché et de la concurrence. Ce renoncement menace les libertés et le principe de non-lucrativité des associations. D’autant plus que tous les pays d’Europe n’ont pas les mêmes statuts associatifs voire n’en ont pas du tout ; la loi 1901 française propose un modèle « haut » de l’association qui, demain, à la faveur d’un modèle européen moins-disant pourrait perdre de sa portée.
Un refuge pour les assos ?
La résolution du 17 février 2022 fait suite au rapport de Sergey Lagodinsky, député européen allemand du groupe les Verts qui proposait un règlement établissant un statut d’association européenne et une proposition de directive pour établir des standards minimaux pour les associations dans les pays européens. L’idée maitresse soutenue par Sergey Lagodinsky visait à créer un refuge statutaire aux associations visées par la montée de l’extrême droite et des répressions sur les associations qui en découleraient mais également plus largement des atteintes aux libertés associatives observées dans plusieurs pays via des campagne de dénigrement, des attaques administratives (coucou le Contrat d’engagement républicain) ou des restrictions de financement pour des motifs politiques. Ce statut associatif européen leur donnerait une forme juridique au niveau communautaire au même titre que les entreprises et les groupes d’intérêts économiques qui l’ont obtenu depuis longtemps.
Échapper au marché intérieur
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CONTREPOINTS
Ondes de coop, les Licoornes, la joie et le marché
Le 14 octobre, la Maison des Métallos à Paris accueillait la deuxième édition d’Ondes de Coop, le festival des coopératives de la transition qui avait choisi cette année, le thème de la joie, « une émotion que nous estimons être au cœur de la transformation sociale et écologique », expliquent les organisateurs, Coopaname, Enercoop, Mobicoop et la Nef. Bastien Sibille, porteur de Mobicoop, une plateforme de covoiturage coopérative, sans commission et en logiciel libre, estime qu’il faut « renverser la charge de la preuve entre le marché et nous ». Pour lui, la joie est du côté de la coopération, de l’entraide, du partage quand le marché propose une « joie dégradée ». Blablacar en commercialisant le co-voiturage rend ce « faux partage » triste ; il ne fait sens que s’il est inscrit dans un cadre non-marchand. A ses yeux, « nous sommes dans un engagement de long terme qui va se durcir à mesure que les marchés vont tenter de récupérer nos concepts en les édulcorant. Pour tenir, mieux vaut aimer faire la route avec joie plutôt qu’attendre le résultat ». Le philosophe Patrick Viveret poursuit en opposant la joie aux passions tristes. Ces dernières donnent un sentiment de satisfaction, de jouissance mais qui passe par la domination et la destruction des autres, de la nature. Elles reviennent comme un boomerang vers la personne qui ne parvient pas à passer d’une jouissance perverse, à laquelle nous pousse la marchandisation et sa frustration organisée, à une joie véritable, sereine. Il appelle à réencastrer l’économie (au sens de l’économie de la maison) dans l’écologie ; à redonner du sens aux mots comme celui de valeur : « ce qui donne de la force de vie » en le dégageant de son approche exclusivement monétaire plus récente.
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À lire, À voir
* Vous trouverez ici les actes de notre université d’été, des actes qui n’en sont pas vraiment puisqu’ils ne sont pas exhaustifs mais tirent des réflexions à partir de nos travaux collectifs, instrumentalisation, marchandisation, managérialisme, mise à mal des libertés associatives, le scénario de l’affaiblissement du monde associatif croise celui de son renforcement avec toutes les inventions et initiatives associatives face aux grands enjeux sociaux et écologiques.
* Le film La (très) grande évasion nous emmène dans les coulisses de la délinquance en col blanc, de l’explosion de l’évasion fiscale et de ses conséquences sur les budgets de nos Etats. Il révèle les mécanismes d’évasion, leur simplicité pour les très grandes fortunes et leur capacité à avoir toujours un train d’avance face aux timides tentatives pour les réguler. Il faut dire que les cabinets conseil comme Deloitte, KPMG et PWC pèsent sur les gouvernements (quand ils n’y participent pas directement) pour qu’ils adoptent des législations favorables. Les grandes banques françaises comme Société générale ou BNP Paribas apparaissent comme les champions dans cette course contre l’impôt. La (très) grande évasion, un film de Yannick Kergoat, au cinéma le 23 novembre.
* L’abeille, une marchandise ? Bee-washing ou comment la marchandisation du sauvetage des abeilles vire à l’absurde
* L’urbanisme tactique et sa marchandisation. La Générale, laboratoire artistique politique et social, organisait en juin dernier sa deuxième édition du festival Futur parfait pendant lequel une table ronde questionnait la marchandisation de ces lieux issus de la culture squat ou lieux dit intermédiaires par des acteurs comme Plateau urbain ou le groupe SOS qui, selon cette table ronde, « ont fait des lieux temporaires leur fond de commerce ». « Pendant longtemps, nous pensions que nous devions lutter contre des expulsions manu militari, or on se retrouve aujourd’hui expulsé par le marché ». Une table ronde passionnante à écouter en ligne et une enquête très intéressante du Chiffon à lire sur la marchandisation à l’œuvre dans les Tiers lieux où l’on retrouve, encore elle, BNP Paribas.
* Un article sur la marchandisation du cinéma qui questionne la montée d’une « novlangue inquiétante », reflet d’une « logique marchande décomplexée », « [qui] vante produits culturels, rentabilité, concentration de grands groupes ».
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1 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000021712266
3L’esprit de Philadelphie. La justice sociale face au Marché total. Alain Supiot, Editions du Seuil, 2010.
4Ralentir ou Périr, l’économie de la décroissance. Timothée Parrique, Editions du Seuil, 2022.
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#6 – septembre 2022
Voyage aux pays des Convergents
Les 5 et 6 septembre dernier, le Palais Brongniart, l’ancienne Bourse de Paris, (quel symbole !), accueillait le forum mondial 3 zéros. Les trois zéros déclinés pour zéro exclusion, zéro carbone, zéro pauvreté, vaste programme porté par l’organisation Convergences. Son idée : faire converger acteurs publics, associations et entreprises, pour « servir d’interface à toutes les initiatives à fort impact sociétal » et construire ce monde aux trois zéros.
L’organisation est présidée par le co-fondateur d’Acted avec autour de lui, la représentante de Danon Communitie, un fond de capital risque qui investit dans des entreprises sociales dans la lignée du Social Business porté par Muhammad Yunus (voir Klaxon n°4), du centre Yunus de Paris (qui s’inscrit dans la même filiation), d’Ecofi Investissements, de BNP Paribas. Le thème de cette année : « Conjuguer justice sociale et transition écologique ».
Drôle de pari que d’allier à ce programme l’une des banques les plus climaticides au monde selon plusieurs rapports comme celui d’Oxfam. Ce dernier rappelait que depuis 2016 les quatre plus grandes banques françaises, dont fait partie BNP Paribas, n’ont fait qu’augmenter leurs financements aux hydrocarbures. Dans le rapport de Banking on climate chaos, regroupant plusieurs ONG internationales, qui analyse le financement des énergies fossiles par les 60 plus grandes banques au monde, BNP Paribas apparaît comme le premier financeur du pétrole et gaz offshore. Le rapport « Quoi qu’il en coûte » des associations les Amis de la Terre et Oxfam sorti en mai 2021 désignait les trois groupes bancaires BNP Paribas, Société générale (également partenaire du forum) et Crédit agricole comme les entreprises françaises les plus polluantes avec chacune une empreinte carbone supérieure au territoire français. Enfin, selon Transparency international, BNP Paribas serait la plus présente dans les paradis fiscaux. N’en jetez plus.
Pour converger dans ce cadre contraint, le ton du forum ne pouvait être que très consensuel – même si quelques voix discordantes se sont fait entendre notamment sur la participation de BNP Paribas – à l’image du discours de lancement axé sur la défense d’une « croissance mesurée » et reconnaissant que s’attaquer aux inégalités « c’est un peu plus compliqué ». Mais l’objectif zéro exclusion, zéro carbone et zéro pauvreté « reste possible dans un monde de progrès » où la finance représente « un levier » et où les entreprises ont également « un rôle très important à jouer ». Pas de remise en cause du système néolibéral à l’horizon (voir ce petit rappel québécois).
Pourtant, les contradictions apparaissent très vite. Première table ronde, nous avons choisi le thème de l’impact washing qui vise à séparer le bon grain de l’ivraie. Qu’est-ce que l’impact réel et l’instrumentalisation de la notion pour blanchir son entreprise ? L’institut Rousseau interroge le phénomène d’impact washing et postule que « le capitalisme financiarisé est antinomique de la transition écologique ». Il appelle à un rôle de régulation fort des acteurs publics face à un marché financier majoritairement tourné vers la spéculation et où les investissements à impact écologique ou social jouent les trompe-l’œil, un point de vue qui semblait très minoritaire dans ce forum où la finance et l’entreprise étaient présentées comme capables de changer le monde. Selon l’analyse portée par l’institut Rousseau sur 700 fonds dit socialement responsable (ESG), 50% d’entre eux ont des allégations d’impact qui sont imprécises, mensongères voire illégales. On ne peut plus clair …
La finance à impact, venue du monde anglo-saxon, nous a–t-on expliqué dans ce débat, supplante désormais la finance solidaire française au modèle assez unique. Imad Tabet, du crédit coopératif , nous a expliqué que c’est justement parce que ce modèle était isolé, pas compris des instances européennes et internationales qu’il a fallu rejoindre la notion globale de finance à impact avec l’enjeu de définir des outils de mesure communs.
Beaucoup d’ateliers portaient sur cette notion d’impact, quant aux stands, une grande majorité présentait des outils de mesure d’impact en tout genre : cartographie relationnelle et mesure d’impact territorial, Impact production : des productions qui valorisent votre impact, Médiatico : le média de l’économie à impact qui propose un accompagnement pour les assos-startups, Act for impact : une offre dédiée de BNP Paribas pour les entrepreneurs à impact, le guide de l’Avise pour évaluer son impact social, le petit précis de l’évaluation de l’impact social de l’Essec… « L’impact, c’est mon carburant quotidien », nous a révélé Maud Sarda, représentante du Label Emmaüs, l’équivalent des brics à bracs d’Emmaüs sur le web. Emmaüs, accompagné par l’agence Kimso, a mis des mois pour mettre en place une grille d’impact avec, par exemple, 50 indicateurs uniquement sur l’impact social. Même si la représentante assure que depuis « c’est magique », Emmaüs consacre désormais un temps plein sur ces mesures d’impact. De quoi interroger Pervenche Berès de l’association Europe-Finance-Régulations (AEFR) qui estimait qu’aujourd’hui il existait de nombreuses méthodes d’évaluation d’impact « plus ou moins contestés ou contestables » et que deux tendances se dégageaient : l’une universitaire pour produire des outils de mesure ultraperfectionnés et donc très couteuse. Or, si mesurer l’impact devient plus couteux que l’action impactante, quel intérêt ? questionne-t-elle. L’autre tendance vise à simplifier ces mesures au risque de favoriser l’impact washing… On tourne en rond, non ?
Pour en avoir le cœur net, le choix du dernier atelier portait sur l’impact investing : effet de mode ou intention sincère ? Nous pouvions nous attendre à un débat, mais autour de la table tous étaient convaincus : l’investissement à impact allait sauver le monde… si, si. Puisqu’il « produit et crée des solutions à des problèmes créés par d’autres ». Coucou BNP Paribas, ah… non, il était organisateur de cette table ronde… Peu de contrepoint donc. Un des exemples présentés : 1001 fontaines, une ONG qui développe au Myanmar, Cambodge, Vietnam et Madagascar, des micro-entreprises de production d’eau potable vendue –à bas coût nous assure-t-on- aux populations locales, via des entrepreneurs locaux. Un modèle du genre pour le Social business pour qui l’accès à l’eau potable ne relève plus d’un droit fondamental qui devrait être garanti par les États mais d’une solution « buisness » dont l’objectif est l’autonomie financière des entrepreneurs locaux via le commerce de l’eau. Comment faire passer la privation puis la privatisation d’un bien commun pour un progrès de l’humanité via une action philanthropique.
Autre exemple : le Printemps des terres, une entreprise à mission qui rachète des terres pour les louer à des agriculteurs « qui souhaitent devenir des acteurs de la transition écologique » explique BNP Paribas qui y a fait un investissement à impact. Cette toute jeune entreprise à mission ressemble fortement à l’association Terre de Liens qui existe depuis 2003 et accueille et accompagne des paysans dans leur accès à des terres agricoles. Le marché aime bien récupérer les bonnes idées du secteur associatif… Avec ces nouveaux statuts d’entreprise à mission, d’entreprise à impact voire demain, comme le propose le mouvement France générosités, d’entreprise à gestion désintéressée, il est désormais possible d’allier buisness avec certains des avantages fiscaux et légaux des associations, alors pourquoi se priver ?
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Les contrats à impact dans la feuille de route
Le 14 septembre dernier, la secrétaire d’État chargée de l’économie sociale et solidaire et de la vie associative a présenté sa feuille de route. « Une sérial entrepreneuse », Marlène Schiappa se définit ainsi en rappelant qu’avant d’être appelée au gouvernement elle montait une « entreprise à impact ». Ce terme (voir Klaxon n°3) semble désormais appelé à supplanter celui d’entrepreneuriat social ; il est revenu à de nombreuses reprises dans la présentation de la feuille de route. Même si elle a reconnu, dans une formulation curieuse, qu’il y avait débat « pour savoir si les sociétés à impact peuvent être intégrer dans le champ plus large de l’économie à impact », est-ce à dire que pour elle économie à impact signifie économie sociale et solidaire ? Elle ajoute qu’il faudra un travail d’identification et de reconnaissance à mener pour savoir ce qu’est l’économie sociale et solidaire.
Premier objectif de sa feuille de route : « lever la charge mentale qui pèse sur les associations », simplifier les démarches administratives pour les assos via le compte asso, simplifier la demande d’agrément Esus notamment en la dématérialisant. « Le passage à l’échelle ne doit pas être freiné par ces tracasseries administratives ».
Elle annonce un appel à manifestation d’intérêt pour soutenir l’économie solidaire dans les territoires via les 15 pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) dotés de 100 000 euros chacun sur deux ans.
Et ajoute que pour passer « de la marge à la norme » elle appelle à communiquer pour faire mieux comprendre l’ESS et lance la création d’un « observatoire de la communication responsable » pour lutter, entre autres, contre le social washing et le green washing.
Pour « acculturer tous les acteurs », elle veut « multiplier les ponts » notamment par les contrats à impact qui « mettent autour de la table acteur de l’ESS, État, investisseurs, évaluateurs indépendants, pour financer et permettre à l’innovation sociale et environnementale de changer d’échelle ». Elle a demandé un « état des lieux de l’état d’avancement de leurs signatures » et prévoit la signature d’une dizaine de contrats début 2023 pour un montant de 45 millions d’euros.
Elle « veut aussi ce changement d’échelle pour les associations » en leur proposant « un pacte de confiance ». Dans ce sens, elle appelle à doubler le nombre de régions concernées par l’expérimentation Guid’asso. Par ailleurs, elle veut parcourir la France pour entendre les bénévoles, les mettre en lumière et proposer une certification des compétences acquises via le bénévolat pour la VAE, ce qui, à ses yeux, va dans le sens de l’objectif présidentiel du plein emploi. Elle appelle aussi à développer le mécénat de compétence.
Elle s’est ensuite tournée vers les entreprises : elle se félicite qu’une centaine d’entre elles soient devenues société à mission en espérant qu’elles soient dans quelques mois des milliers à prendre ce statut.
Enfin, elle a affirmé : « J’irai chercher des marchés et de l’argent partout où il y en a » et annonce deux appels à projets, avec le ministre du Travail, dans le cadre du FSE : l’un de 6,5 millions d’euros en soutien aux actions de professionnalisation des têtes de réseau national de l’insertion par l’activité économique et l’autre de 15 millions en soutien aux actions de structuration et de professionnalisation pour les têtes de réseaux nationaux de la création d’entreprise et des structures nationales de l’économie sociale et solidaire.
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Mesurer l’impact, l’histoire d’une notion
Lors de notre université d’été à Lille en juillet dernier, l’économiste Marion Studer, membre du laboratoire Clersé de l’université de Lille, proposait une vaste réflexion sur les termes utilisés pour désigner les démarches d’évaluation des actions associatives. Cette analyse a porté en particulier sur les logiques et raisonnements qui ont conduit à voir la notion « d’utilité sociale » supplantée par celle « d’impact social ». Il s’agit de comprendre les principes d’actions et valeurs qui se cachent derrière cette « bataille sémantique » car ils induisent des manières fort différentes d’appréhender l’action des associations, en effet, d’évidence, évaluer, dire ce qui compte, n’est en rien une démarche anodine et neutre.
Historiquement, la notion d’utilité sociale est apparue au tournant des années 80 dans une sorte de logique identitaire du secteur associatif et plus globalement des structures de l’ESS. Il s’agissait en effet, avant tout, de se différencier le plus clairement possible des entreprises privées lucratives classiques, notamment pour bien faire apparaître l’absence de risque de « distorsion de concurrence ».
Le terme « impact social » apparaît lui dans les années 2000 et dévient prééminent au tournant des années 2010, trois dynamiques de transformation socio-économique expliquent cette imposition :
1- Le contrôle de l’efficacité
Après l’arrivée au pouvoir de politiques néolibéraux (Reagan, Thatcher etc.), le modèle anglo-saxon du « new public management » va installer l’obsession d’un contrôle accru de l’efficacité de l’action publique. Les acteurs des politiques publiques mais également leurs délégataires (dont nombre d’associations) vont voir se multiplier les injonctions à rendre des comptes, et devoir de plus en plus fréquemment donner à vérifier leurs résultats via de nouveaux instruments et concepts dont cette notion « d’impact social ».
Cela va se conjuguer avec, dans le champ académique, le développement de méthodes d’évaluation basées sur la causalité (avec notamment l’influence des « expérimentations par assignation aléatoire » mises au point par Esther Duflo). Les conséquences de ces méthodes privilégiant une approche micro-économique sont importantes car elles conduisent, tendanciellement, à isoler l’association puisqu’il s’agit de montrer la causalité entre l’action d’une association et « l’impact social » produit en bout de chaîne. Cela rend particulièrement malaisé l’appréciation des effets systémiques que peut produire l’action collective des associations et les plus-values d’un travail synergique en réseau.
2- Le financement aux résultats
Dans les années 2000, d’une part les financements publics se transforment et les subventions ne vont plus correspondre à la norme, remplacées dans les années 2010 par la commande publique. D’autre part, ils se raréfient (entraînant notamment une hausse des tarifs des services associatifs) et ces deux dynamiques alimentent, de fait, une situation de concurrence accrue au sein du secteur associatif se traduisant par une logique et une culture de financement au résultat. Il va s’agir alors de montrer qu’avec des moyens moindres, une structure est capable d’obtenir plus « d’impact social » et la question de sa mesure va donc devenir de plus en plus déterminante.
Cette période est également celle du développement du capitalisme financiarisé à partir des années 80, c’est-à-dire de l’extension et de la banalisation d’une vision propre aux acteurs de la finance sur tout un pan de la société qui, jusqu’à alors, y échappait comme le secteur associatif. Cela aura notamment pour effet de permettre l’apparition de nouveaux acteurs, les entrepreneurs sociaux par exemple.
3- L’hybridation des objectifs économiques et sociaux
Le propre des entrepreneurs sociaux est d’hybrider les logiques et les objectifs économiques et sociaux. Il s’agit de résoudre un « problème » social tout en s’assurant un retour financier lucratif sur investissement. Dans le registre économique, l’évaluation est simple, elle se mesure aux taux d’intérêt et de rentabilité mais dans le registre social, la question est plus délicate et appelle des développements, ceux, précisément que va connaître la notion « d’évaluation de l’impact social ».
Marion Studer explique également comment cette notion-clé suit une sorte de cercle vertueux en se consolidant via la création de ce qu’elle appelle un « écosystème à impact » composée de 4 figures : l’universitaire (l’Essec business school par exemple), le manager (c’est-à-dire la figure de l’entrepreneur social), l’agence d’ingénierie (l’Avise par exemple) et le consultant (KPMG ou Kimso notamment).
Néanmoins, cela ne doit pas nous faire oublier le caractère potentiellement fragile de cette construction intellectuelle comme l’a bien noté le chercheur Thibault Guyon en revenant sur la façon dont l’Institut Godin a rencontré des difficultés pour appréhender cette notion. Lors de leurs premières recherches, les membres de l’Institut ne sont, en effet, pas véritablement parvenus à établir une généalogie claire du concept et à identifier les sources premières d’où il était issu. De plus, ils ont constaté qu’il renvoyait fréquemment à des théories du changement, lesquelles étaient elles-mêmes, peu étayées, peu construites. Ce vocable est donc très abondamment mentionné dans toute une série de rapports qui se citent les uns les autres mais sa genèse intellectuelle est peu évidente, à tel point que l’Institut Godin a fini par mobiliser l’idée de « mythe » proposée par l’historien Paul Veyne pour saisir le phénomène. Pour Paul Veyne, le « mythe » est une sorte de référence, de récit connu de toutes et tous et dont certains se font les passeurs et les transmetteurs mais dont on ne retrouve jamais les auteurs. Cette analyse qu’il développe dans son ouvrage Les grecs ont-ils cru à leurs mythes ? semble devoir s’appliquer avec une certaine pertinence en l’espèce.
(Un texte de Jean-Baptiste Jobard tiré des actes de notre université d’été 2022 qui seront présentés le 29 septembre à la MRES de Lille ou en vision – toutes les infos ICI)
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CONTREPOINTS
Lancement réussi pour l’observatoire de la marchandisation des associations
Ce 10 septembre, elles et ils ont été nombreux.ses à braver la pluie et la boue de la fête de l’Huma pour assister au lancement de l’observatoire citoyen de la marchandisation des associations. A la tribune, cinq associations ou réseaux étaient présents : le mouvement rural pour une jeunesse chrétienne (MRJC), la maison commune de la décroissance (MCD), le mouvement pour une économie solidaire (MES), le collectif 21 venu de Belgique, le collectif des associations citoyennes (CAC), tous membres fondateurs de l’observatoire, certains autres étaient dans le public comme le collectif pour une éthique en travail social, l’association nationale des assistants de service social (ANAS), le collectif avenir éduc. Sylvain Celle, socio-économiste, représentait le conseil scientifique de l’observatoire qui compte aujourd’hui une dizaine de chercheurs et chercheuses.
En guise de lancement, une citation tirée du livre « Réinventer l’association » de Jean-Louis Laville, membre du conseil scientifique, pour planter le décor : « La dépolitisation et la technocratisation des associations sont au cœur du projet théorisé par l’économiste du libéralisme Friedrich Hayek, le désengagement de l’État doit être pour lui couplé avec un affaiblissement des collectifs contestataires et leur remplacement graduel par un tiers secteur composé d’associations prenant en charge au moindre coût, écrit Hayek, “beaucoup de choses que nous croyons actuellement devoir attendre du gouvernement”» . Après la théorie, la pratique : « Nous ne sommes plus financés pour ce que nous sommes mais pour ce que l’on fait », explique Maël Pousset du MRJC qui dénonce la course permanente et le temps fou passé à répondre à des appels d’offre formatés pour des actions à court terme. Luc de Larminat, du MES, rappelait en écho que « la subvention, qui interdit la commande publique et respecte le projet, était le mode naturel de partenariat et de co-construction ». Or, depuis une dizaine d’années, le mode de financement des associations par la subvention ne cesse de reculer. Appels d’offre, appels à projet, appels à manifestation d’intérêt renversent le rapport aux associations. L’investissement à impact social apporte un cran supplémentaire. Sylvain Celle présente l’impact social comme le « cheval de Troie de la marchandisation du monde associatif », en voulant allier retour social et retour sur investissement, en bref rendre rentables des actions associatives. Une « extension du domaine de la marchandise à ce qui ne l’avait jamais été », décrypte Fleur Bertrand-Montembault de la Maison commune de la décroissance. Notre observatoire vise – ambitieux programme – à remettre l’économie à sa juste place ; revendiquer avec force la place de l’association et sa capacité à penser le monde hors des seules logiques de marché.
La vidéo du lancement dans son intégralité est à retrouver ici.
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À lire, À voir
* Le numéro 54 de la revue belge Culture & Démocratie interroge notre rapport au temps « à l’heure où le temps du marché rythme nos vies », prendre le temps de le parcourir pour y découvrir des perles comme cet appel à un droit universel à l’otium, un « retrait fécond », un temps libéré de la marche du monde.
* La recherche ne devrait pas envisager la croissance du PIB comme seul horizon possible, dans une tribune parue le 12 septembre dernier, le collectif Horizon Terre (qui comprend notamment Sciences citoyennes et Ingénieurs sans frontière) appelle à confier l’affectation de 10% du budget de la recherche publique à des conventions citoyennes.
* Enfin, le site de notre observatoire se construit pas à pas, n’hésitez pas à nous proposer des contributions, suggestions, propositions après l’avoir visité !
* Dans son édition du 12 septembre, le journal l’Humanité revient sur le lancement de l’observatoire de la marchandisation des associations.
Retrouvez toutes nos infos sur ce site Internet et le fil d’actu du CAC sur la marchandisation du monde associatif et ci-dessous les anciens « klaxons ».
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#5 – juin 2022
Apprendre aux associations la « culture de l’évaluation »
Sarah El Haïry, encore secrétaire d’État chargée de la jeunesse et de l’engagement, avait commandé un rapport à Suzanne Chami, déléguée générale de l’Institut de développement de l’éthique et de l’action pour la solidarité (Idéas), Philippe Bolo, député de Maine-et-Loire, Bernard Bazillon du cabinet KPMG et Philippe Da Costa de la Croix rouge. Leur mission ? Installer une « culture de l’évaluation » au sein du monde associatif et harmoniser les méthodes notamment en s’appuyant sur la mesure de l’impact social. Le rapport intitulé « Évaluation des actions associatives » est sorti ce mois d’avril 2022.
L’idéologie portée par les auteurs du rapport apparaît clairement dès les premières pages. Les associations sont « en retard » sur cette question d’évaluation par rapport aux méthodes du privé bien plus « efficaces ». Si les grandes associations « ont pris conscience de la nécessité de se doter de processus de reporting extra-financier. Malheureusement, elles n’ont pas atteint le même niveau de maturité (NDLR : que les entreprises ayant mis en place leur politique de RSE) en matière de mise en œuvre et d’efficacité opérationnelle ».
On l’avait compris, les associations sont définitivement has been, d’autant plus que « les entreprises, et en particulier celles du domaine de l’économie sociale et solidaire (ESS), s’insinuent désormais dans le périmètre d’activité des associations. En étant mieux armées en termes de pratiques évaluatives, le risque qu’elles distancent les associations devient un point de vigilance ». On leur rappelle que 80% du secteur de l’ESS sont des associations ? Mieux armées, c’est à dire ? « Le secteur associatif doit d’avantage s’investir dans le reporting et la qualification de ses actions ». Pourtant, curieusement, dans l’enquête envoyée dans le cadre de la réalisation de ce rapport aux associations, 84% des répondants disaient réaliser des évaluations de leurs actions… Peut-être n’est-ce pas les « bonnes » méthodes d’évaluation qu’elles utilisent ?
Le rapport met en effet particulièrement en avant la notion de mesure d’impact social qui impose « d’effectuer le diagnostic des besoins sociaux ; de démontrer la pertinence des actions en réponse à ces besoins ; de considérer les coûts évités – ce qui suppose l’accès à des données de nature sociétale, pas toujours aisé ». En somme, le modèle type des contrats à impact social… L’idée d’un référentiel unique pour l’évaluation du monde associatif est même avancée. Toutefois l’exercice est jugé trop difficile et le rapport préconise des référentiels sectoriels et un corpus de bonnes pratiques. Parmi elles, la méthode développée par Social Value France, centre de ressources et de plaidoyer pour l’évaluation de l’impact social, il réunit tous les acteurs qui depuis le départ défendent l’implantation et le développement des contrats à impact social en France. Surtout, ils diffusent cette financiarisation du social dans les discours, infusent cette notion de mesure d’impact social au point qu’elle semble désormais incontournable. Ce réseau national s’est affilié au réseau international, Social value International qui regroupent les réseaux de 45 pays et visent « à créer un mouvement commun pour le changement ».
Social Value France identifie donc « trois briques » dans cette évaluation présentée comme modèle : la formalisation de l’évaluation et des effets qu’elle se fixe ; la collecte des données régulières dans le temps long ; le travail d’étude et de recherche sur les coûts évités.
Le second exemple de bonnes pratiques est celui développé par l’ESSEC qui propose un MOOC gratuit pour se former sur la mesure de l’impact social. Ce MOOC pose le sujet sans contrepoint possible : « Dans le contexte économique actuel de restriction des ressources publiques, la mesure de l’impact social est devenue un pré-requis pour les associations et entreprises sociales ». Il avance plusieurs questions : « Pourquoi et comment mesurer son impact social ? Quels outils choisir, comment la mettre en œuvre et comment l’exploiter? Comment valoriser voire monétariser l’impact social ? Ces questions sont désormais cruciales pour toutes les structures œuvrant pour l’intérêt général ».
La mesure de l’impact semble donc incontournable et pourtant elle interroge en profondeur les relations entre les associations et leurs financeurs qu’ils soient publics ou privés. D’ailleurs le terme association tend à disparaître de ce paysage pour devenir un « porteur de projet », « une entreprise de l’ESS », un « opérateur social », un « entrepreneuriat social ». Le terme association paraît moins commode. Il renvoie à la notion de liberté associative, de transformation sociale, d’émancipation qui, sans doute, ne colle pas parfaitement à la mesure de l’impact social. Cette dernière exige en effet un « langage commun » entre « porteur de projet » et financeurs pour se mettre d’accord sur la mesure d’impact admise, sur les résultats attendus. Dès lors, elle place les associations en opérateur contrôlé par un référentiel d’indicateurs préétablis, à remplir, vérifier, comparer pour faire preuve de son impact. Un carcan rigide qui annihile toute velléité de revendications politiques et encore moins de désobéissance civile. Présentées comme neutres et utiles pour prouver l’efficacité des actions, ces méthodes de mesures d’impact sont en réalité une manière de brider les mouvements sociaux qui inquiètent le modèle économique dominant. « Mettre au pas les associations passe d’abord par l’imposition, indolore, progressive, d’une multiplicité de normes comme autant de camisoles qui resserrent l’étau du privé autour du milieu associatif », écrivait le CAC en 2017 dans sa lecture critique du rapport KPMG qui visait à faire « évoluer les modèles socio-économiques des associations ».
Par ailleurs, la mesure de l’impact impose aux associations des procédures extrêmement lourdes et couteuses. Dans un webinaire consacré à la mesure de l’impact social proposé par l’Avise le 7 juin dernier, deux associations racontaient leur expérience de ces évaluations. Elles expliquaient toutes les deux que c’était désormais un attendu des financeurs et que cela permettait de « faire la preuve de son utilité », « de rendre plus lisibles nos actions ». L ‘association Rev’elles qui accompagne depuis 2010 des jeunes filles de quartiers populaires pour qu’elles gagnent confiance en elles dans leurs démarches professionnelles annonçait qu’elle avait engagé 50 000 euros pour être suivie par le cabinet spécialisé Eexiste afin de mesurer son impact social. Ils avaient construit ensemble 25 indicateurs autour de trois axes, l’évaluation du rapport à soi, du rapport aux autres et de la projection dans l’avenir des jeunes filles accompagnées. L’Avise qui portait ce webinaire estimait à 15% du budget des projets la part qui devait être dédié à l’évaluation de l’impact social. L’association qui fait appel à un cabinet de conseil spécialisé doit compter a minima 15 000 euros pour financer ce travail.
La nécessité de ce passage présenté comme obligé n’est à aucun moment remis en question. Dans sa lecture critique du rapport KPMG de 2017, le Collectif des associations citoyennes analysait le glissement sémantique et politique entre la subvention publique et la commande, l’appel à projet qui tendait à faire des financeurs publics « des commerçants, acheteurs de prestations de services au mieux disant et au moins coûtant » comme l’écrivait Michel Chauvière dans Trop de gestion tue le social. Ce glissement pousse les associations à des logiques de concurrences et de regroupement. Désormais, ce nouveau rapport les entraine dans des méthodes de reporting, indicateurs de résultats, mesures d’impact calquées sur le modèle privé néolibéral toujours présenté comme bien plus « efficace ». Ne serait-il pas temps, à l’heure des retournements écologiques et sociaux, de s’interroger sur cette efficacité ?
Issu d’un groupe de travail intitulé « les petits déjeuners de la mesure d’impact », Convergences, l’Avise et Improve présentaient le 7 juin dernier un guide de la mesure de l’impact. Objectif : définir la mesure de l’impact social pour les distinguer d’autres types d’informations qui pourraient être perçus comme mesure d’impact mais n’en sont pas. Surtout, présenter cette approche de l’évaluation comme la plus efficace et la plus à même de prouver la réalité de l’impact. Une culture qui diffuse déjà largement au sein des associations. L’Unapei a ainsi sorti lui aussi ce mois de mai un guide intitulé « mesure d’impact social – Développons nos propres outils pour mesurer l’utilité sociale de nos activités et valoriser nos actions ». Appuyé sur l’expérimentation de trois régions (Bretagne, Pays de la Loire et Auvergne-Rhône-Alpes et 25 associations), ce guide vise son essaimage sur l’ensemble du réseau Unapei pour « développer une culture commune de la mesure d’impact social ». Le guide de l’Unapei vante les mérites de cette approche qui permet, écrit-elle de « se réapproprier notre démarche d’évaluation », de « réaffirmer notre utilité sociale et notre pouvoir d’influence » en « orientant le dialogue avec les financeurs dans le sens de nos valeurs. Elle nous donne les moyens de passer d’une logique d’injonction à une logique de coopération » et enfin de « marquer l’appartenance de nos associations à un écosystème plus large », ceux de l’économie sociale et solidaire. Toutefois, en fin de guide un verbatim interroge : « En deux générations, nous sommes passés d’un monde où chacun reconnaissait la légitimité de nos associations à agir pour l’intérêt général à une société où nous devons faire la preuve de la pertinence de nos actions ».
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La cravate solidaire, L’ impact sans mesure
La cravate solidaire a été l’une des premières associations à signer un contrat à impact social (CIS) dans le cadre du premier appel à projet de 2016. Cette association propose à des jeunes sans emploi de quartier populaire, un atelier coup de pouce de deux heures sur les codes vestimentaires en entretien professionnel. Après un accueil d’un quart d’heure, la personne suit un atelier de 45 minutes avec un coach en image, en général un bénévole qui accompagne également le don de vêtements, puis 45 minutes avec un binôme de coachs de ressources humaines, souvent venus par le mécénat de compétence. L’atelier se termine par un quart d’heure pour réaliser une photo professionnelle et répondre au questionnaire de satisfaction.
Dans le cadre du CIS, elle proposait de mener ces ateliers à bord d’un bus aménagé en Seine-Saint-Denis et dans le Val d’Oise. Le CIS a été structuré par la BNP Paribas comme la plupart des CIS en France, évalué par l’agence Kimso, financé par la Caisse des dépôts, la Maif, Aviva et Inco. Ils ont investis 450 000 euros dans le projet. Ce dernier s’appuyait sur deux « indicateurs de moyens » : accompagner 900 personnes sur trois ans et de sensibiliser 140 bénévoles aux discriminations à l’emploi et un seul « indicateur de résultat » : parvenir à montrer une reprise d’activité ou de formation de 3% supérieur par rapport à un accompagnement par les missions locales des deux départements calculé trois mois après le passage dans un atelier. Ces indicateurs de moyens et de résultats servent à évaluer l’impact social et à déclencher le remboursement avec prime et/ou taux de retour des investisseurs.
L’action en elle-même a mis du temps à se mettre en route. La structuration du CIS reste, comme pour chacun de ces contrats très longue. Censée démarrer en septembre 2018, l’action n’a finalement pu se lancer qu’en mai 2019 mais le comité de pilotage a décidé de ne pas prendre en compte ce retard et n’a pas modifier le suivi des indicateurs. « Cette décision a eu une incidence sur nos manières de faire », explique Mathilde Pichau de la Cravate solidaire. « Il a fallu très vite atteindre un rythme de croisière assez intense et accélérer la cadence que nous avions prévu très graduelle. Nous avons dû chercher très vite de nouvelles structures d’insertion pour nous orienter des jeunes ». La crise sanitaire est venue ensuite bouleverser les objectifs. Au lieu des 900 jeunes accompagnés, l’indicateur de moyens a été revu à la baisse à la fin du CIS pour tabler sur 780 jeunes reçus dans les ateliers. Enfin, cerise sur le gâteau, l’indicateur de résultat a finalement été retiré puisque l’État n’a pas pu fournir à l’évaluateur Kimso les données des missions locales. En cause, les règles liées à la RGPD.
Au final, le CIS a pris fin en décembre 2021 et l’association vient juste de recevoir « l’attestation de performance » signée par l’évaluateur qui indique que l’association a atteint les deux indicateurs de moyens. Surprise de taille, malgré l’absence de données sur l’indicateur de résultats, l’Etat a finalement versé les 15000 euros de prime par investisseur ! Il est très possible qu’une clause du contrat couvrait les investisseurs sur ce point et que le non-versement ne concernait que la situation où les résultats étaient mesurés et non atteint. Or, dans ce cas, la mesure n’a pas pu avoir lieu. L’exemple montre bien que le risque soit disant pris par les investisseurs reste minime.
Si l’association juge que la somme investie au départ leur a permis de lancer leur action pendant trois ans (aujourd’hui pérennisée grâce à des subventions publiques), elle ne se risquerait pas pour l’instant dans un autre CIS. Pourquoi passer par cette grosse machine, qui prend tant de temps et d’argent (public) ? Pourquoi construire des indicateurs (et payer des prestataires extérieurs pour le faire) qui, au final, ne parviennent pas ou très difficilement à concilier vision associative et vision financière voire ne sont tout simplement pas respectés ? La subvention paraît bien moins coûteuse tant pour l’État que pour l’association… reste uniquement l’intérêt des investisseurs.
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Contrepoints
Vers un observatoire citoyen de la marchandisation et de l’investissement à impact social
L’idée germait depuis un moment au sein du groupe de travail financiarisation du Collectif des associations citoyennes. Nous en étions convaincu : il nous fallait un espace pour comprendre décrypter et contrer la marchandisation des actions associatives, une transformation aux allures de rouleau compresseur.
Cet appel à entrer dans des logiques de marché gangrène l’action associative, remet en question la notion de non-lucrativité, récupère des mots du secteur associatif pour mieux vendre … Nous avons l’ambition de renverser la vapeur et revendiquer la force de l’associationnisme et sa capacité à penser le monde de demain hors des logiques de marché. Le 19 mai dernier, nous étions une quinzaine d’associations pour mettre la première pierre à l’édifice d’un futur « observatoire citoyen de la marchandisation de l’action associative et de l’investissement à impact ».
Notre volonté commune : créer un espace d’analyse et d’information, de déconstruction et d’action contre cette marchandisation qui pousse les associations dans les bras du marché. Pour nous rejoindre dans cette démarche, un mail de contact : marianne@associations-citoyennes.net
Prochain rendez-vous le 22 juin au CAC (108 rue Saint Maur, 75011 Paris ou en visio) autour d’une présentation par le CNLRQ d’une démarche de recherche action pour définir l’utilité sociale des régies de quartier.
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Contre la marchandisation … l’alerte de l’Uniopss
« La recherche maximale de profits est incompatible avec l’accompagnement de personnes vulnérables », dénonce enfin l’Uniopss dans un communiqué du 22 mai suite à « l’affaire Orpéa ». Il était temps qu’une grande tête de réseau se positionne fortement contre la marchandisation à l’œuvre depuis bien trop longtemps dans le secteur social et médico-social. Il demande au nouveau gouvernement un « arrêt de toute nouvelle habilitation ou tout nouvel agrément de structures lucratives » et le renforcement des contrôles existants sur l’utilisation de dotations publiques dans ce type de structures. Enfin, l’Uniopss souligne que « les agissement de quelques-uns ne doivent pas entrainer un sentiment de défiance généralisée alors que 80% de l’accueil en Ehpad est réalisé par des établissements publics ou privés non lucratifs ».
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À lire, À voir
- Article dans Médiapart sur une structure du groupe SOS qui met en cause sa gestion d’un centre éducatif fermé « direction flottante, encadrement très peu qualifié, équipe trop jeune, pas diplômée » : https://www.mediapart.fr/journal/france/010622/en-auvergne-les-dingueries-d-un-centre-pour-mineurs-delinquants
- L’Observatoire des inégalités publie un « Rapport sur les riches » qui pointe que 10% des plus fortunés disposent de 46% du patrimoine de l’ensemble des ménages et que Bernard Arnault (patron de LVMH) détient une fortune équivalente à la valeur de tous les logements de Marseille.
- Michel Chauvière, Trop de gestion tue le social, essai sur une discrète chalandisation, Éditions La Découverte
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Le Klaxon !
#4 – mai 2022
Macron et les contrats à impact
La réélection d’Emmanuel Macron augure de beaux jours pour les contrats à impact. Dans son programme de 2017, il voulait « poursuivre le déploiement des contrats à impact social pour financer, grâce à des partenaires privés, des expérimentations de programmes sociaux de prévention innovant ». En 2022, dans le bilan de son quinquennat, à la rubrique économie sociale et solidaire, il les remet en exergue : « Les contrats à impact ont été pérennisés et modernisés en 2020. Aujourd’hui, ce sont plus de 16 contrats qui ont été signés pour un montant total de 50 millions d’euros et une vingtaine d’autres sont en cours de signatures, avec la forte volonté de les multiplier ». La France deviendrait, après l’Angleterre, le pays européen qui compte le plus de contrats à impact.
Pour l’instant, personne n’en évalue les conséquences tant pour les finances publiques, qui devront à terme rembourser toutes ces sommes investies, que sur le volet concrétisation des projets. Le temps de construction des montages financiers et juridiques reste extrêmement long et un seul contrat est à ce jour arrivé à terme, celui de Wimoov. Cette association du groupe SOS propose un test mobilité pour les personnes en situation de précarité qui ont des problèmes de transport. Pour son contrat à impact social, l’association Wimoov a reçu une subvention de 750 000 € (dont 80 % en provenance du ministère du travail, 18 % en provenance du ministère de la transition écologique et solidaire et 2 % en provenance du ministère de l’Economie et des Finances).
Dans le bilan que fait en février 2021 la Cour des comptes de ce CI, elle note que les indicateurs choisis « ne permettent pas d’apprécier l’impact social des actions mises en œuvre ». Et ajoute : « Il manque en effet des indicateurs de résultats ou des indicateurs d’impact pour mesurer l’amélioration de la mobilité ou l’employabilité des bénéficiaires mais également les économies pour le tiers-payeurs public ». Les indicateurs s’intéressent uniquement au nombre de personnes qui ont passé le test de mobilité sur la plateforme dédiée et ceux qui ont permis de déclencher un accompagnement. On voit bien que les indicateurs choisis, relativement simples, permettent d’assurer quoi qu’il arrive un remboursement des investissements. Les autres CI signés suite au premier appel à projet de 2016 sont toujours en phase d’évaluation.
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Le Social Business reste du business
Qu’est-ce que le social business ? Le terme apparaît dans les années 90 porté par Muhammad Yunus. Surnommé « le banquier des pauvres », cet économiste et entrepreneur bangladais a reçu le prix Nobel de la paix en 2006 pour avoir inventé le microcrédit avec sa banque, la Grameen Bank, fondée en 1976.
La définition du social business par Muhammad Yunus « s’applique à une entreprise ayant décidé de se doter d’un objectif social, fonctionnant par autofinancement et ne reversant pas de dividendes à ses actionnaires » (1). Dans le monde de Muhammad Yunus, plus besoin de subventions, plus besoin d’Etat, même plus besoin d’associations, la pauvreté sera vaincue par l’auto-entreprise et le microcrédit. « Le social business proposé par Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix, se passe même de subventions, de dons et de bénévolat pour se positionner intégralement sur le marché », note le rapport du Haut comité à la vie associative de 2017 sur les associations et l’entrepreneuriat social.
Si tout le monde devient maître de sa propre entreprise, alors il n’y aura plus de pauvreté. Simple comme bonjour. Il développe cette approche dans deux livres aux titres évocateurs : « Vers un nouveau capitalisme » (2008) et « Pour une économie plus humaine » (2012) . Dans son premier livre, il écrit : « Un projet conduit dans un objectif social qui facturerait un prix ou des honoraires pour ses produits ou ses services mais ne serait pas capable de couvrir complètement ses coûts, ne saurait être qualifié de social business. Tant qu’elle doit compter sur les subventions ou sur les dons pour combler ses pertes, une telle organisation relève du secteur caritatif. Mais dès qu’un projet de cette nature parvient à couvrir ses coûts de façon pérenne, il accède à un autre monde : celui des entreprises. Ce n’est qu’alors qu’il deviendra un social business » (2).
Les pauvres, des entrepreneurs comme les autres
Deux sortes de développement du social business version Yunus existent, le premier propose donc de faire des pauvres des entrepreneurs via les microcrédits mais également en s’appuyant sur une approche économique intitulée « Bottom of the pyramide » (BoP), la base de la pyramide en français. Qu’est-ce que cette base : les pauvres. Les 4 milliards d’humains qui vivent avec moins de 2 dollars par jour ; le concept est parfois étendu à ceux qui sont juste au-dessus de deux dollars. Considérés comme un immense marché potentiel, ces pauvres deviennent désormais la cible de techniques commerciales. Ainsi, la première expérience du social business version Yunus nait en 2006 entre Danone et Grameen (…) : Cette Grameen Danone Foods Limited veut vendre à prix modique des yaourts hyperprotéinés aux enfants pauvres du Bangladesh. Les enfants des « BoP » puisque parfois, par souci de clarté, cette catégorie de la population est réduite au sigle, cynisme du langage.
Le deuxième se développerait, par exemple, dans le champ de la santé en commercialisant des polices d’assurance maladie qui permettraient aux pauvres d’accéder à des soins médicaux « abordables »… ou bien en proposant des recycler des ordures ménagères, ou bien en proposant des systèmes de production d’énergie ou d’eau… Vraiment cela rappelle bien quelque chose … des services publics, non ? Dans le monde de Muhammad Yunus, ces « business » doivent rester totalement hors du champ de l’Etat puisqu’il considère que les Etats sont incapables de les gérer ou bien trop pauvres pour le faire… Et il n’est pas question de revendication politique ou de mouvements sociaux pour transformer le modèle dominant, c’est bien là tout le sens du social business, prétendre vaincre la pauvreté sans rien toucher aux fondamentaux du système capitaliste. « L’idée que la pauvreté puisse être un marché rentable se répand », écrit Jean-Louis Laville (3) qui stipule que dans ce nouveau contexte, selon Muhammad Yunus dont il cite les écrits : « l’association est amenée à se convertir en entreprise sociale, alors abordée comme une entreprise « au sens plein du terme » parce que fonctionnant conformément aux principes de gestion qui ont cours dans une entreprise classique » et « capable de couvrir complètement ses coûts » ».
Une vie éternelle pour l’argent
Muhammad Yunus dénonce également l’approche philanthropique : « Dans la charité, l’argent part et ne reviens jamais. Si on peut le transformer dans une économie comme le Social business, il peut aller de l’avant, se recycler. Ainsi, l’argent dépensé dans le Social business a une vie plus longue. Car on récupère l’argent que l’on dépense, on génère ainsi un nouveau cycle, et ainsi de suite… Avec la charité, l’argent n’a qu’une vie, mais si on peut le convertir dans le Social business, il devient immortel », explique-t-il dans un documentaire intitulé Social Business qui raconte comment Véolia vend de l’eau dans un village du Bangladesh (4) où l’eau disponible est empoisonnée à l’arsenic. Là encore, dans l’approche de Muhammad Yunus, il ne sert à rien de militer pour des services publics qui assurent une eau non toxique, de faire valoir l’accès à ce bien essentiel, voire d’imaginer défendre l’eau comme un commun, mieux vaut développer un nouveau commerce à destination des plus pauvres.
Ce film a été présenté lors du premier événement après l’ouverture en 2017 du centre Yunus à Paris à la maison des Canaux. Lors du débat qui a suivi la projection, l’administrateur de Grameen Veolia Water, porteur du projet, Eric Lesueur assure : « Le social business n’est pas un long fleuve tranquille ». « Vendre des microcrédits, vendre des yaourt, vendre des chirurgies de la cataracte, vendre de l’eau, ce sont des métiers très différents », explique sans rire Eric Lesueur, un point de vue qui n’était pas partagé par Muhammad Yunus « qui avait la vision que tout produit ou tout service se vendait de la même manière ». Or, assure Eric Lesueur, « pour vendre de l’eau dans ces pays là, puisqu’on parle de business donc il s’agit de vendre de l’eau potable, les habitants ont des figurations de ce qu’est le droit à l’eau, ce qu’est une eau pure, de la manière dont elle est répartie entre les habitants, extrêmement différente de la représentation que nous en avons », assure-t-il. En clair, personne ne s’attendait à ce qu’on leur vende de l’eau qui pour eux était accessible gratuitement. Il a fallu penser « l’argumentaire de vente » en tenant compte de la manière dont « était vécue l’arrivée d’une eau potable sans arsenic produite par une entreprise étrangère ». Au fil des ans, il s’est avéré que ce « business » ne pouvait être rentable sans une prise en charge des infrastructures qui exigent des investissements importants, donc pour faire du profit, il faut que les infrastructures existent ou soient financées par la puissance publique. Au final, ce social business a pu survivre en développant des connexions d’eau directement chez des habitants avec un « certain niveau de vie » et qui affichent l’accès à l’eau directement chez eux comme signe de prospérité. Eric Lesueur défend ce nouveau business modèle en expliquant : « Pour atteindre l’objectif d’équité sociale et de santé publique, tous les moyens sont bons. S’il s’agit d’atteindre l’équilibre économique en vendant du confort, du standing plutôt qu’en vendant de la santé, finalement le résultat est toujours bon, on a réussi à faire boire et à vendre de l’eau sans arsenic a cette population » Business is business.
Paris, capitale du social business ?
Muhammad Yunus veut faire de Paris le « hub » du social business en Europe. « Soutien indéfectible » de la candidature de Paris pour les jeux olympiques, explique le président du centre parisien Yunus. « Il considère que les jeux peuvent être un formidable levier pour l’inclusion sociale, le développement des territoires ». Dans une tribune dans Le Monde, pendant la crise sanitaire, Muhammad Yunus propose de prendre ce modèle du Social Business pour refonder le « monde d’après » : « Dans ce grand plan de reconstruction, je propose de donner le rôle central à une nouvelle forme d’entrepreneuriat que j’ai appelée le « social business ». Une entreprise de ce type a pour seul objet de résoudre les problèmes des individus, sans but lucratif pour les investisseurs autre que celui de récupérer leur mise. Une fois l’investissement initial amorti, tous les bénéfices sont réinjectés dans l’entreprise », assure-t-il.
Plus loin, il ajoute : « Cela fait peu de temps que les cours d’économie abordent des sujets comme l’entrepreneuriat social, l’économie sociale et solidaire, l’impact investing (investissement à impact social) ou les organisations à but non lucratif. La reconnaissance dont bénéficient mondialement la Grameen Bank et le microcrédit n’y est pas pour rien » (5). Entrepreneuriat social, investissement à impact social, Social business se nourrissent mutuellement pour faire de l’économie sociale et solidaire « libérée » de ses revendications politiques. Jean Moreau, coprésident de Tech for Good France allait au bout de cette logique dans un entretien au Monde en septembre 2020 : « L’économie sociale et solidaire était jusqu’alors perçue comme très à gauche, militante. Nous, on a réussi à rendre ça bankable et sexy. Aujourd’hui, avoir une mission noble ajoute un supplément d’âme à votre business et attire les investisseurs. » (6) Pour Jean-Louis Laville ces approches défendent « un néolibéralisme amendé qui se présente après les manifestations altermondialistes et les printemps arabes. Il ne se contente plus de prôner la généralisation de la concurrence, il internalise des réponses à la question sociale pour désamorcer toute contestation globale » (7).
(1) « Le grand récit du social business », Antoine Perrin, dans Du social business à l’économie solidaire, critique de l’innovation sociale, Maïté Juan, Jean-Louis Laville, Joan Subirats, Eres, 2020.
(2) « Vers un nouveau capitalisme », Muhammad Yunus, Editions JC Lattès, 2008
(3) « L’économie sociale et solidaire. Pratiques, théories, débats », Jean-Louis Laville, Editions Point, 2016
(4) Muhammad Yunus, prix nobel de la paix en 2006, dans le documentaire Social Business qui raconte comment Velioa vend de l’eau dans un village du Bangladesh où l’eau est empoissonnée à l’arsenic. Diffusé le 15 février 2017 sur Public Senat.
(5) https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/05/muhammad-yunus-la-crise-du-coronavirus-nous-ouvre-des-horizons-illimites-pour-tout-reprendre-a-zero_6038665_3232.html
(6) https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2020/09/25/l-entreprise-va-t-elle-sauver-le-monde_6053628_4497916.html, Nicolas Santolaria, Le Monde, 25 septembre 2020.
(7) jean-Louis Laville, Ibid.
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Croix rouge à vendre
Six centres franciliens de la Croix-Rouge sont sur le point d’être rachetés par le groupe Ramsay Santé, anciennement Générale de santé, devenue filiale du géant australien Ramsay Health Care, nous informe le Monde du 26 avril. La direction de la Croix-Rouge justifie cette vente au secteur privé lucratif par un déficit depuis plusieurs années. Et assure que Ramsay gardera un « statut associatif » à ces centres. Il serait toutefois étonnant que ce géant boursier, dont la valeur du capital est estimé à 14 milliards de dollars, accepte de maintenir longtemps une activité déficitaire. Maintiendront-ils des tarifs de secteur 1 ?
Recevront-ils les patients relevant de la CMU, de l’AME ? Continueront-ils à accueillir 62 000 patients dont 30% en situation de précarité comme ces centres le faisaient ? Rien n’est moins sûr.
D’autant plus que, coup de théâtre, Ramsay est sur le point d’être avalé par « un des fonds d’investissement les plus sulfureux de la planète », le fonds d’investissement américain KKR, nous informe l’Humanité du 6 mai. Ce fonds traîne une réputation qui lui a donné le surnom de « barbarians », les « barbares » aux Etats-Unis… « Peu porté sur la question sociale, KKR n’a aucun scrupule à dépecer des entreprises entières, licenciant des salariés par dizaines », écrit l’Humanité qui rappelle que ce Fonds s’appuie sur la technique du LBO (leveraged buy-out ou rachat par endettement). Il s’agit de racheter une entreprise avec un emprunt auprès d’une banque, de faire une restructuration à la hache avant de la revendre quelques années après « dans le but de réaliser une coquette plus-value », note l’Humanité.
Dans une tribune au Monde du 9 février, François Crémieux, directeur général de l’assistance publique-hôpitaux de Marseille dénonce la reprise des centres Croix Rouge par Ramsay et alerte sur le passage de ces centres dans « un autre monde » : « celui du capital, des excédents de l’année, du marché de la santé et des perspectives de « business ». Après le bilan de l’année 2021, le patron de Ramsay a même dû rassurer ses investisseurs inquiets : il serait le garant de la totale indépendance de l’entreprise face aux tentations interventionnistes des gouvernements, notamment en Europe ». Et s’alarme : « On ne peut observer sans débattre que des centres de santé de la Croix-Rouge française quittent le secteur associatif pour être repris par un groupe de santé privé ».
Il ne signale pas que la Croix-Rouge s’engageait depuis plusieurs années vers le modèle de l’entrepreneuriat social. La vente de ces centres au privé participe pleinement de cette politique. En 2019, l’association avait notamment lancé 21, à Montrouge, en lien avec Nexem, le Medef du social, un lieu de coworking dédié aux entrepreneurs sociaux, sorte d’incubateur de start-up du social. Avec pour ligne de mire de dénicher les futures « licornes » de l’innovation sociale…
Cette logique risque demain de voir ces centres engloutis dans un fonds d’investissement surnommé « les barbares », tout un symbole pour la Croix Rouge. Et un bel exemple des effets de la marchandisation…
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Contrepoids
Un webinaire pour comprendre la comptabilité CARE
Le 3 mai dernier, la comptabilité CARE nous était racontée par la Coop des Communs dans un webinaire à retrouver en ligne. Son acronyme signifie compréhensive accouting in respect of ecology traduit en français par comptabilité adaptée au renouvellement de l’environnement. Cette comptabilité vise à changer de modèle comptable pour « compter ce qui compte vraiment ». La Coop des Communs part du constat que « la comptabilité n’est pas neutre ». « La comptabilité incorpore des représentations du monde, son objet est profondément politique, ses normes sociales et environnementales sont externalisées, elles n’entrent pas dans la comptabilité », avance Daniel Le Guillou. La comptabilité CARE cherche, à l’inverse, à les intégrer.
Elle s’inscrit dans l’idée que « les capitaux humains et naturels doivent être préservés au même titre que le capital financier ». Jacques Richard, auteur de la Révolution comptable, rappelle qu’historiquement le terme de capital signifie un moyen d’action, une signification très différente de celle portée par l’économie et la comptabilité actuelle qui perçoivent le capital comme une dette pour l’entreprise, une ressource à rembourser. CARE n’a pas d’objectif de rentabilité mais de solvabilité. Elle n’a rien à voir avec les systèmes s’appuyant sur la mesure d’impact qui visent à quantifier les effets de l’action d’une association. C’est même le contraire, selon la Coop des communs. La comptabilité CARE consiste à penser les actions nécessaires pour soutenir, quand il s’agit d’une entreprise, les trois capitaux, humain, naturel et financier en son sein. Et à revoir les normes comptables dans cet objectif. La Coop des communs et le CAC continueront d’informer sur cette comptabilité et d’accompagner les associations qui souhaiteraient faire les premiers pas vers sa mise en place.
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À lire, À voir
* Le dernier numéro de la revue Passerelles a pour titre Finance et communs : Pour une réappropriation collective de la finance. « De façon accélérée depuis les années 1970, le système financier s’est détourné de son objectif premier, le financement de l’économie, pour répondre à un objectif devenu prioritaire : générer des bénéfices financiers. Mais peut-on penser une finance au service d’un projet de société radicalement différent que celui que propose le néolibéralisme ? Et à quelles conditions ? », interroge ce numéro 23 d’avril 2022.
* Vient de sortir le livre de nos homologues belge, le Collectif 21 intitulé : Cent ans d’associatif en Belgique… Et demain ? Livre coordonné par Mathieu Bietlot, Manon Legrand et Pierre Smet. Pendant deux ans, le Collectif 21 a interrogé l’histoire et l’avenir du fait associatif en Belgique. « Les combats qui l’ont permis et ceux qu’il a portés, sa fonction sociale, émancipatrice et démocratique, sa culture propre, ses liens avec les pouvoirs publics, les logiques marchandes et managériales qui le dévoient, les relations de travail et les rapports aux publics, le militantisme et la professionnalisation ». Ce livre en tire une réflexion pour penser le monde de demain.
* Alain Manac’h a consacré sa carte blanche sur France bleu Isère à un monde associatif à la croisée des chemins inspiré du livre : quel monde associatif demain ?
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Le Klaxon !
#3 – 19 Avril 2022
La marchandisation vue de Belgique
La Belgique a perdu l’équivalent de notre loi 1901. Le monde associatif belge devait fêter en 2021 le centenaire de la loi qui régissait les associations depuis 1921. Les associations ont marqué un « non-anniversaire de la loi de 1921 puisqu’une nouvelle loi, sans aucune concertation, a décrété que désormais les associations entraient dans le code des sociétés faisant sauter la distinction entre sociétés commerciales et non-commerciales. « Les associations devront-elles désormais répondre aux normes du marché ? », interroge Geoffroy Carly, co-fondateur du Collectif 21 dans un film « 2121 hypothèses associatives » que nous présenterons lors de notre assemblée générale le 20 mai prochain.
Face à ce changement majeur, passé sans débat et dans un relatif silence, plusieurs associations se sont réunies dans le Collectif 21 pour réfléchir au devenir des associations et mener une réflexion sur l’état actuel du monde associatif.
Toutes ces associations, le Collectif 21 à Bruxelles, le Miroir Vagabond en Wallonie le Carrefour des cultures et le conseil bruxellois de coordination sociopolitique ont décidé de lancer une grande enquête dont elles présentaient les résultats le 24 mars dernier. Elles affirment que cette enquête (qui sera mise en ligne prochainement) n’est pas scientifique mais basée sur des paroles de terrain. Sur la base de cette enquête, elles veulent ensuite construire un plaidoyer en vue des échéances électorales belges qui auront lieu en 2024.
L’enquête interroge l’identité du monde associatif, sa capacité de synergie et les liens entre engagement et professionnalisation, dans un contexte où l’association est devenue une structure commerciale comme une autre. Face à ce changement législatif, elle pose la question : « rupture ou continuité ? ». Certains ont une lecture de cette transformation législative comme une poursuite d’une réalité déjà à l’œuvre depuis longtemps qui a fait petit à petit disparaître la frontière entre marchand et non-marchand.
Pourtant, vu de France, leur système de financement de ce qu’ils appellent « l’éducation permanente », équivalent de l’éducation populaire française, paraît très confortable. Les associations d’éducation permanente ont une subvention fixe définitive, établie par un texte légal qui ne peut être remise en cause qu’en cas de faute grave. Si elles ont besoin de plus de moyens, elles peuvent renégocier leur budget à la hausse… Elles se sentent donc assez protégées.
D’autres voient dans ce changement législatif, un danger puisqu’il « lève l’interdiction historique faite aux associations de se livrer, à titre principal, à des activités commerciales », écrit Mathieu Vanwelde de l’asbl SAW-B dans le livre ramené de Belgique : « Autonomie associative menacée – des défis et ambitions pour garantir nos libertés », coordonné par la FESEFA la fédération des employeurs des secteurs de l’éducation permanente et de la formation des adultes. Le plaidoyer entend mettre ce questionnement en avant.
Du côté des contrats à impact belges
BNP Paribas figure dans de nombreux contrats à impact social. La banque porte 12 projets en France, aux Etats-Unis, en Ethiopie et également en Belgique où elle a structuré et financé son premier contrat à impact en 2020. Le projet vise la réinsertion sociale et professionnelle des jeunes adultes sans abri. D’un montant de 1,7 millions d’euros, il finance le projet Back on track de l’association Oranjehuis qui intervient sur les questions de protection de l’enfance à Courtrai en région flamande. Le contrat se donne pour objectif de réinsérer 133 jeunes adultes sans abri d’ici 2023 dans la province de Flandre occidentale en s’appuyant sur le programme Housing First for Youth, qui propose un logement (et non de l’hébergement d’urgence), constituant la base du reste de l’accompagnement. Le contrat compte sur un an d’accompagnement et fixe pour objectif que 133 jeunes accomplissent le programme, 85% terminent avec un contrat de location, 40% avec un revenu d’activité ou une formation. Là encore, comme pour la plupart des contrats, aucune information sur le taux de retour sur intérêt fixés. La Belgique avait lancé son premier contrat à impact en 2014, porté par l’association Duo for a job, un programme bruxellois d’insertion professionnelle pour des jeunes demandeurs d’emploi issus de l’immigration. Depuis, une dizaine de contrats ont été signés.
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Premier contrat à impact de développement
Le 28 janvier dernier, la France a signé son premier contrat à impact de développement (CID). Il s’agit d’un contrat à impact social mais cette fois versant humanitaire. Le programme, porté par CARE France, est dédié à l’hygiène menstruelle en Ethiopie. BNP Paribas finance, l’agence française du développement et le ministère des Affaires étrangères seront les payeurs finaux. Le budget de 3 millions d’euros devra soutenir des organisations de la société civile éthiopienne qui accompagneront des changements de pratiques et sensibiliseront sur cette question taboue, note le communiqué de presse du ministère. Il ajoute que ce nouveau contrat « répond à une dynamique d’innovation financière soutenant l’investissement à impact comme levier de financement des objectifs de développement durable ». En janvier 2021, il existait onze contrats de ce type dans le monde. Les 17 objectifs de développement durable (ODD) établis par l’ONU deviennent une grille de lecture pour valider ces outils à impact, entreprise à mission ou entreprise à impact (voir ci-dessous). Ils sont à la base du travail sur la « taxonomie sociale européenne » qui devra classer les activités économiques du point de vue notamment des ODD et ouvrir l’accès aux financements européens et aux outils de la finance à impact. Les résultats de ces travaux sont annoncés pour le mois de juin.
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L’entreprise à impact
Après l’entreprise à mission, voilà l’entreprise à impact, un nouveau concept, qui s’inspire des entreprises à mission, proposé par le mouvement Impact France dans une tribune intitulée « Manifeste pour une économie de demain » publié en février dernier. Ce nouveau statut ouvrirait à ces entreprises le droit à des allègements de charge, des accès à la commande publique voire même des financements publics. Le mouvement Impact France imagine 50 000 « entreprises à impact » d’ici 2027. En fait, le statut d’entreprise à mission, s’il ouvrait droit à une reconnaissance d’entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS), n’allait pas assez loin pour le mouvement Impact France. Le plaidoyer pour ce nouveau statut pousse à leur ouvrir plus grand tous les marchés publics où 10% leur serait réservé. Il plaide également pour un taux réduit d’impôt, des allégements de TVA au niveau de ceux réservés aux produits alimentaires (5,5%) et l’octroi d’aides publiques… Rien que ça…
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Contrepoints
La Clef, un cinéma en commun
Le 1er mars dernier, le collectif la Clef qui occupait le cinéma associatif depuis deux ans était expulsé ; le même jour son potentiel acheteur, le Groupe SOS, échaudé par la mauvaise presse suite à la lutte contre ce rachat, se retirait de la vente. Les possibles s’ouvraient de nouveau. Le 28 mars, face à une salle de la Bourse du travail à Paris remplie, le collectif a présenté son projet de reprise du cinéma. Il s’appuiera sur la création d’un fond de dotation qui recueille depuis plusieurs mois des dons : le fonds La clef Revival. Il permettra de sortir le cinéma du marché spéculatif immobilier. Le collectif vise à faire du lieu un commun, l’association La Clef en recevra la propriété d’usage et pourra poursuivre son projet. Ce dernier propose une gestion horizontale, une programmation collective de films souvent rares, fragiles, des prix libres, un soutien à la création de jeunes réalisateurs via le Studio 34, des actions culturelles vers le jeune public en lien avec les écoles et les centres d’animation culturels du quartier. Le CLIP, un réseau de lieux en propriété d’usage, va entrer dans le CA de ce fonds, tout comme Céline Sciamma ou encore Jean-Marc Zekri, directeur du Reflet Médicis. Le 28 mars, le collectif annonçait avoir reçu, pour la première fois depuis deux ans, une proposition de rencontre avec la secrétaire du CSE de la Caisse d’Epargne, propriétaire des lieux pour discuter de leur projet. Il a également le soutien financier de la Mairie et la Région IDF annonce réfléchir également à un soutien.
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L’Anas dépose plainte contre la plateforme : mes-allocs.fr
Le 4 avril, l’association des assistants de services sociaux (Anas) publiait une déclaration dans laquelle elle demande aux pouvoirs publics de se mobiliser pour faire cesser l’activité de l’entreprise « mes-allocs.fr » et de toutes celles similaires. L’association des assistants de services sociaux (ANAS) a déposé plainte contre cette plateforme qui existe depuis trois ans, fondée par un jeune commercial, Joseph Terzikhan, passé par des banques d’investissement, puis par la Tech en Asie. Il a notamment travaillé pour Lazada, l’équivalent asiatique d’Amazon, racheté par Ali-baba. Revenu d’Asie en France, il explique dans un entretien en ligne qu’il a voulu monter son projet en cherchant « un impact social » et suite à des expériences personnelles, il s’est aperçu qu’il était très difficile d’accéder à ses droits, donc il a voulu faire de « l’optimisation sociale ». Il a, explique-t-il, « scanné le marché de l’aide » pour créer un algorithme qui « permet en deux minutes d’avoir une estimation des aides ». « mes-allocs.fr » se présente comme un simulateur de droits sociaux mais aussi comme un « coach de vie ». « Il est proposé aux internautes de renseigner une multitude de données personnelles pour estimer un potentiel droit à une ou plusieurs prestations sociales. Dans un second temps, le site propose à l’utilisateur que ses « experts » réalisent le remplissage et l’envoi de formulaires d’accès à ces mêmes prestations en contrepartie de frais d’inscription et d’un abonnement de 29,90 euros par trimestre », dénonce l’Anas. L’association estime que l’accès au système de protection sociale doit rester gratuit. En s’appuyant sur tout un travail de recherche, elle a établi le caractère illégale de cette pratique et déposé plainte auprès de la procureure de la République à Évry.
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À lire, À voir
* Réservez votre 3 mai pour suivre le webinaire sur la comptabilité CARE proposé par la Coop des communs en lien avec le CAC : http://archive.associations-citoyennes.net/?p=16137
* Sur la situation en Belgique et le film 2121, hypothèses, associations, de Michel Steyaert, porté par le Collectif 21 voir cet article très complet qui revient sur la fin du régime juridique de la loi de 1921 en Belgique qui garantissait le caractère non-marchand du monde associatif.
* En Belgique, la première du film 2121, hypothèses, associations, de Michel Steyaert a eu lieu le 15 mars. Nous le présenterons lors de notre assemblée générale le 20 mai prochain et lors de notre université d’été qui cette année aura lieu à Lille les 5,6 et 7 juillet, à la MRES, réservez les dates !
* Sur la notion de biens communs, un article pédagogique de Benjamin Coriat : Biens publics ou biens communs mondiaux ?
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Le Klaxon !
#2 – 28 Mars 2022
Rapport Cazenave : « massifier » les contrats à impact
Le 2 mars, Thomas Cazenave a rendu son rapport intitulé « propositions pour le développement des contrats à impact en France » à la secrétaire d’État Olivia Grégoire.
Elle avait donné pour mission à ce haut fonctionnaire de lui donner des pistes pour « massifier » les contrats à impact en France. Passé par Orange et Pole emploi, puis directeur adjoint de cabinet d’Emmanuel Macron lorsqu’il était au ministère de l’Économie, Thomas Cazenave s’occupe désormais de la campagne d’Emmanuel Macron où il est en charge d’un groupe de travail sur la réorganisations des administrations.
Son rapport répète ce qui avait déjà été soulevé lors du premier rapport Lavenir en 2019 : « Opération longue », « grande complexité », « peu de valeur ajoutée en comparaison d’autres outils comme la subvention », le contrat à impact (CI) « pose de nombreuses difficultés : traitement budgétaire et comptable complexe, déficit de notoriété, absence de portage par l’administration, manque de réflexion sur l’issue du CI ». Il souligne aussi que les départements s’emparent peu du dispositif (seuls deux départements Loire-Atlantique et Gironde sont tiers payeurs dans le CI des Apprentis d’Auteuil, sinon les autres sont garantis par l’État). Quand ça veut pas, ça veut pas…
Mais hors de question de lâcher l’affaire, Olivia Grégoire parle d’ailleurs de sa « grande tendresse » pour ces outils. Elle indique laisser en vue de son proche départ en raison des présidentielles, une « maison bien rangée » : 15 contrats à impact pour un montant global de 50 millions d’euros et un rapport « très important pour structurer l’avenir des contrats à impact ». Elle souhaite les voir intégrer comme des outils ordinaires de l’action publique.
Avant son départ, elle signera deux nouveaux contrats à impact le 17 mars (voir ci-dessous). Elle espère en outre que les CI ne seront pas victime des changements politiques en soulignant qu’avant sa volonté de les relancer en 2020, leur existence a « failli ressembler à une parenthèse expérimentale ». Elle trouve intéressant le « combat culturel » qu’elle dit avoir mené avec les acteurs associatifs de « l’écosystème » sur cette logique d’impact.
Le rapport fait cinq propositions pour tenter de relancer cet « outil innovant de transformation de l’action et des politiques publiques ». Thomas Cazenave dit que sa boussole était de « faire changer d’échelle » les contrats à impact. (La fixation sur les échelles mériterait une thèse…) Il assure avoir la conviction que c’est un bon outil mais que « le chemin est drôlement escarpé, oui c’est difficile, long et compliqué » mais « théoriser les nouvelles formes de capitalisme et essayer de les faire vivre, c’est compliqué ».
Il propose donc de :
1 – « mieux installer les CI dans le paysage public et administratif ». Le rapport envisage la création d’une équipe interministérielle dédiée pour accompagner les projets mais aussi promouvoir et « faire de la pédagogie » auprès des différents acteurs. Ils veulent aussi augmenter la fréquence des appels à manifestation d’intérêts et proposent « une ligne dédiée » au CI dans le budget de l’État.
2 – « Stimuler et structurer les fonctions d’évaluateur et de structurateur des CI », notamment en lançant des appels d’offre pour créer un « vivier » de ces acteurs là.
3 – « Privilégier des projets plus risqués mais avec plus de potentiels de transformation pour la puissance publique ». En clair, rendre possible une hausse des rémunérations des investisseurs pour les attirer… la fourchette envisagée va de 8% à 10% d’intérêts ce qui laisse supposer que jusque là on était, comme on l’imaginait, autour de 4% à 6% d’intérêts, ce qui n’était déjà vraiment pas mal ! (par comparaison il faut voir que les placements en bourse ont, en moyenne, des intérêts à 8,5%)
4 – Simplifier le dispositif
Une recommandation qui passe de rapports en rapports, pour « lever les freins et barrières », notamment par exemple en sortant du principe de l’émission obligataire que les associations lauréates doivent faire aujourd’hui mais en utilisant une technique de « cession de créances » c’est à dire promettre à l’investisseur le versement d’une subvention ( !) en fonction de l’atteinte des résultats. C’est une technique qui est testée aujourd’hui par le CI de Médecins du Monde décidément très « innovant » en la matière. Par ailleurs, pour les associations qui passeraient toujours par l’émission obligataire, il s’agirait de leur « faciliter » l’enregistrement au registre des commerces et société.
5 – attirer le secteur philanthropique sur les CI pour qu’il devienne un investisseur potentiel alors qu’il est pour l’instant peu engagé, actuellement seul le CI d’Article 1 compte une fondation (Fond B) en tant que tiers payeurs et 4 dans lesquels des fondations étaient engagées comme investisseurs. Et puis imaginer de nouveaux outils financiers proches des Sustainability linked bond (il va nous falloir des experts en finance pour décrypter cela, avis aux amateurs…)
Le rapport va très loin dans la question des retours sur investissements puisqu’il avance l’exemple à l’étranger de taux de retours qui peuvent aller jusqu’à 20% de l’investissement initial ! J’interroge : est-ce que ce sont des taux envisagés en France ? Réponse de Thomas Cazenave : « L’objectif du rapport est de poser cette question là », Il explique : on ne peut pas demander à des investisseurs de prendre des risques sans leur proposer une rentabilité à la hauteur de ces risques. « Actuellement, les CI ont un faible rendement donc un faible risque ». Le rapport indique que le « taux de rentabilité interne maximum observé sur les CI français se situe autour de 4,5% ».
Olivia Grégoire répond à son tour : « Si on veut attirer des investisseurs et pour qu’ils mettent des tickets plus gros de 20, 30, 50 millions d’euros pour adresser des pans de politiques publiques, alors il faut qu’on se pose cette question du rendement en se départissant de certains a priori intellectuel ». Elle ajoute : « 20 %, c’est une idée, une proposition, cela peut être un horizon ». Et souhaite : « qu’on se départisse des considérations un peu morales sur cet enjeu de rendement ». (sic)
« L’État est patouf pour répondre à certains enjeux sociaux », pense la secrétaire d’État. Le privé peut mieux y répondre et « on n’attire pas les mouches avec du vinaigre », conclut la secrétaire d’État. Le rapport propose lui des rendements de l’ordre de 8% à 10% par an. Il décomplexe donc complètement cette question. En 2016, lors du premier appel à projet pour les contrats à impact social (CIS) lancé par Martine Pinville, alors secrétaire d’État à l’économie sociale et solidaire, elle jurait que jamais au grand jamais la France ne ferait grimper les intérêts comme ailleurs à l’étranger puisque l’objectif des CIS n’était en aucun cas le profit… Désormais, l’affaire est entendue et assumée.
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Deux nouveaux contrats et cinq lauréats
Le 17 mars, deux nouveaux contrats d’impact social étaient signés. Pour être plus précise, deux protocoles d’engagement étaient signés, car il est une autre spécificité des ces CIS rarement souligné : il ne s’agit pas d’un seul contrat signé mais de multiples contrats à signer au cours de plusieurs étapes, le protocole d’engagement de l’État en est un.
La secrétaire d’État Olivia Grégoire a, une nouvelle fois, rappelé que ces contrats ont failli, « faute d’impulsion politique », rester comme « une belle parenthèse expérimentale » avant son arrivée. De cette manière, elle indique que sans un fort portage politique, il est possible que ces contrats qui sont quand même de belles usines à gaz, retombent dans l’oubli et que d’autres outils prennent le relais pour tenter d’appliquer le principe de l’investissement à impact social.
Depuis lors, en un an et demi, 18 projets ont été sélectionnés pour un total qui dépasse les 60 millions d’euros. Au delà des deux nouvelles signatures, la secrétaire d’État a également annoncé les cinq nouveaux lauréats du dernier appel à manifestation d’intérêt : « innover pour l’accès à l’emploi » lancé en mars 2021, cette fois pour un total de 13 millions d’euros.
Les lauréats sont : Article 1, déjà bénéficiaire du premier appel à projet de 2016, ClubHouse, accompagne des personnes avec un trouble psy dans leur parcours professionnel, Moovjee Talents, accompagne des jeunes à trouver un emploi durable et à le garder dans les premiers mois… Les Eaux Vives Emmaüs, insertion durable dans l’emploi des personnes en souffrance psy et enfin Gojob, lutte contre les discriminations à l’embauche des jeunes. Une fois encore, toutes ces associations (à part peut-être Emmaüs, à voir) se présentent comme de l’entrepreneuriat social.
Ces lauréats doivent maintenant travailler avec leurs investisseurs et leurs structurateurs pour arriver au stade de la signature du protocole d’engagement qui avait donc lieu ce 17 mars pour Envie autonomie et Comme les autres. Le premier réemploie des dispositifs médicaux (type fauteuils roulants récupérés) dans une logique d’économie circulaire, le CIS doit lui permettre de « passer à l’échelle » nationale. Pour l’instant, il développe cette activité dans 12 départements. Pour cela, il obtient 5,5 millions d’euros pour 5 ans. Nous n’avons pour l’instant pas les infos sur les objectifs fixés, ni bien sûr, sur les taux d’intérêts des investisseurs.
Le deuxième, Comme les autres, est une association (son fondateur, Jonathan Jérémiasz est un ancien président du Mouves) veut « lever les freins à l’emploi » des personnes handicapées par le sport, les sensations fortes et le mentorat. Objectif du CIS : accompagner 500 personnes sur 3 ans avec un budget de 4,5 millions d’euros. Là encore pas plus d’infos pour l’instant sur les objectifs ni sur le taux d’intérêt.
Dans ces deux CIS, BNP Paribas est à la fois structurateur et investisseur, mais il y a beaucoup d’autres investisseurs : la Banque des Territoires, BNP Paribas Asset Management, le Fonds Européen d’Investissement, AG2R La Mondiale, Malakoff Humanis, INCO Invest (fondé par Nicolas Hazard, longtemps vice-président du groupe sos), Generali Investissement à Impact, SYCOMORE Impact Emploi, Sham (groupe Relyens), Esfin Gestion ou encore Abeille Impact Investing France.
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Contrepoints :
La Clef, le caillou dans la chaussure du groupe SOS
Nous vous en parlions dans le dernier Kaxon ! (voir ci-dessous), le cinéma associatif la Clef a été expulsé le 1er mars, le même jour, son acheteur potentiel, le groupe SOS annonçait son retrait de la vente. Nous avions alors décidé de maintenir notre débat prévu le 4 mars avec le collectif de la Clef. Nous voulions à la fois montrer l’alternative associative proposée par le collectif et décrypter les logiques entrepreneuriales qu’imprime le groupe SOS au monde associatif. Retrouver ce débat en ligne
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À lire, À voir
La revue Ballast dans son numéro de mars publie une enquête très intéressante sur l’économie sociale et solidaire.
La revue Frustation revient dans un article synthétique et complet sur le scandale des cabinets de conseil privés appelés à concevoir pour des sommes astronomiques les politiques publiques avec une vision de l’État en mode start-up.
L’Uniopss a lancé en début d’année une émission télé sur le net, intitulée Solidarités TV, lors de sa deuxième émission le 21 mars, Jean-Louis Laville revient sur l’importation dans le secteur associatif des méthodes du secteur lucratif.
Retrouvez toutes nos infos sur notre site et le fil d’actualité du CAC sur la marchandisation du monde associatif.
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Le Klaxon !
#1 – 25 Février 2022
La finance et les contrats à impact font leur livre blanc
Ce 9 février, le livre blanc pour promouvoir la finance à impact social est sorti, présenté par Fair (ex Finasol et IIlab fusionnés) en partenariat avec la Maif. Le paysage est posé par la journaliste – aussi entrepreneuse sociale – qui anime le débat :
« Aujourd’hui, la finance solidaire marque une hausse de 140% d’encours en 5 ans, représente plus d’un million de souscripteurs, la demande en finance verte, finance sociale doit être entendue ».
Constat confirmé par Frédéric Tiberghien, président de Fair : « Nous sommes sur un segment à extrêmement forte croissance ». La Banque de France rappelle que l’ESS est « le secteur qui croie le plus vite en terme d’octroi de crédit, plus de 7% par an depuis 2007 alors que la moyenne nationale est à 4,2 % et pour les PME à 5,4% ».
Ils présentent aujourd’hui un nouveau livre blanc pour peser sur les pouvoirs publics pour « pouvoir croitre encore plus dans les prochaines années ». Ils demandent un « coup de pouce » pour « aller plus vite » et répondre aux besoins sans plus tarder. Il assure vouloir faire de l’épargnant « quelqu’un qui à le souci de la performance de son épargne, c’est naturel, mais aussi qui a une préoccupation citoyenne : je veux que mon épargne serve le bien commun, je veux que mon épargne aille dans le sens de la finance à impact social ».
Ils avancent 10 propositions, notamment :
La demande de lever « des dispositions réglementaires qui empêchent les investisseurs institutionnels à financer les entreprises à forte utilité sociale ».
Créer de meilleures garanties publiques qui couvriraient les premières pertes pour garantir les risques tant au niveau français qu’européen. Eviter en clair tous risques pour les investisseurs.
Créer un fonds de conversion à l’économie sociale et solidaire pour que des entreprises privées lucratives puissent devenir des entreprises de l’ESS.
Mettre en place une nouvelle comptabilité sociale et environnementale
Déployer les contrats à impact (on ne dit plus contrats à impact social) « pour favoriser l’innovation sociale ».
Sur ce dernier point, ils reconnaissent avoir un problème sur le manque d’instruments de mesures, notamment sur le volet social, « ils ont du mal à aboutir », explique Hélène N’Diaye, DG de la Maif. Un travail est en train de se faire au niveau européen qui devrait aboutir en juin prochain dans la lignée de la taxonomie européenne déjà mise en place depuis 2020 sur le volet écologie pour les investissements « verts ». « Ce travail se heurte à des considérations politiques, par exemple, est-ce que le nucléaire est écologique ou pas ? », ajoute Hélène N’Diaye. La taxonomie verte a finalement décidé que oui…
Frédéric Tibergheim assure une nouvelle fois que ces CI ne sont pas là pour se substituer aux subventions classiques pour les associations mais pour « prendre des risques, tester de nouvelles méthodes pour régler un certains nombres de problématiques sociales ». Il souhaite impliquer d’avantage les collectivités territoriales mais se réjouit du fort appui du gouvernement actuel. « La France est désormais le troisième pays au monde qui utilise le plus ces contrats », en terme de volume d’investissement, selon le livre blanc, actuellement 21 millions sont investis dans les 11 contrats signés et 45 millions iront dans les 14 CIS en cours de structuration.
Son « rêve » : « C’est que cela devienne un jour une classe d’actifs pour des investisseurs institutionnels pour mieux financer l’innovation sociale ». Ensuite, une fois testée, il faut la diffuser, changer d’échelle, et donc « il faut créer un fonds de paiement aux résultats co-financé avec les collectivités territoriales pour pouvoir les diffuser l’innovation une fois qu’elle a fait ses preuves ».
Parce que l’un des souci, c’est la question du devenir des projets une fois le temps du contrat à impact écoulé. C’est ce qu’explique le responsable de l’Adie, porteur du premier CIS qui arrive à terme en 2022. Il assure que le projet a réussi à insérer durablement 300 personnes pour un coût final de 1500000 euros, fait « la preuve qu’il marche » mais maintenant il faut le pérenniser et le déployer donc trouver des subventions… retour à la case départ. Car le futur des CIS, une fois que les investisseurs ont récupéré leurs billes… et leurs intérêts, ce sont les subventions. Beau final !
Petit bonus : je suis allée discuter avec le Président de Fair pour lui demander pourquoi les taux de retour sur investissement des CIS ne sont jamais publics, je vous livre l’échange brut de décoffrage blancs inclus : « Cela dépend des indicateurs, il y a plusieurs niveaux d’indicateurs mais demandez à l’Adie mais à mon avis son taux de rendement n’est pas énorme, énorme… » Mais pourquoi ce n’est pas public ? « Je n’en sais rien, comme c’est un contrat privé… mais à mon avis il n’y a pas de secret… » Ah ben si, ils sont secrets, nous n’arrivons jamais à les obtenir. « Oui, mais à mon avis ils sont modérés, c’est entre 4 et 6 %, demander à l’Adie, il vous le dira… » Et hop, il est parti.
Petit bonus bis : discussion avec la DG de la Maif, Hélène N’diaye :
Questionnée par un autre journaliste sur Orpéa, elle explique que la Maif a retiré toutes ses billes du groupe et qu’ « ils sont tombés de leur chaise ». Je l’interpelle sur le fait que la marchandisation de ce type de secteur amène à ces dérives et que ce n’est pas nouveau. Elle répond : « Oui c’est vrai… »
Du coup ils ont aussi rapidement sorti aussi tous leurs actifs de Korian, « on est traumatisé », dit-elle.
Je la relance : comment éviter une situation similaire sur un futur contrat à impact social puisque c’est aussi un processus de marchandisation ?
« Oui, je suis complètement d’accord et c’est pour cela que je dis qu’il faut avoir une grille de lecture beaucoup plus approfondie et faire passer la dimension d’impact correctement calculée en avant mais il faut aussi savoir prendre des risques et agir sans regret parce que si on ne fait rien, on reste dans l’entre-deux. On s’était fait chopé déjà une fois, il y avait eu un scandale sur la Maif sur des hôtels sur les migrants et nous n’avions rien vu, nous étions avec la CDC, nous avions l’impression d’être propre, nous n’avons pas vu le truc ». (Il s’agit du programme Prahda sur les Formules 1 transformés en résidences sociales hôtelières gérées par Adoma, via un fonds à impact social )
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Du côté de l’Europe – économie sociale version entrepreneuriale
Le 17 février, une conférence réunissait Nicolas Schmit, commissaire européen responsable de l’emploi et des droits sociaux, et la secrétaire d’État chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable, Olivia Grégoire.
Ils ouvraient une table ronde entre 23 ministres de l’Union européenne réunit pour « une première historique », selon eux : discuter ensemble de l’économie sociale et « amplifier la dynamique » du plan d’action, construit par Nicolas Schmit, pour l’économie sociale.
Dix ans après l’initiative du business social ( « Social Business Initiative ») premier plan d’action de la commission européenne pour soutenir les entreprises sociales en Europe, la commission a publié le 9 décembre 2021 un nouveau plan d’action.
Entendre derrière l’économie sociale, l’économie sociale et solidaire mais le solidaire a sauté… et surtout l’accent est porté sur l’entrepreneuriat social. Olivia Grégoire a ouvert la séquence avec un : « Bienvenue à tous les entrepreneurs sociaux qui se connectent ! »
Leur plan d’action couvre les 8 prochaines années et à trois priorités :
- il veut « créer un cadre propice à l’essor de l’économie sociale », mieux la prendre en compte les besoins de l’économie sociale dans les politiques publiques : marchés publics, aides d’Etat, fiscalité mais aussi les politiques de santé, éducation, d’emploi, de protection de l’environnement. La commission prépare en ce sens une recommandation pour 2023 pour une politique de soutien à l’économie sociale.
- « Développer des outils pour renforcer les capacités des acteurs de terrain », notamment en proposant de « nouveaux produits financiers » en 2022 via Invest UE (le programme de financement face à la crise Covid) pour mobiliser davantage de financement, y compris des financements privés. Il veut promouvoir, enfin, la mesure de l’impact social mais pour cela il faut élaborer des « méthodes simples » et Nicolas Schmit ajoute qu’il sait que c’est une des priorités d’Olivia Grégoire.
- Aider à une meilleure reconnaissance de l’économie sociale en aidant les activités de recherches, la collecte de données, de communication…
Enfin, le plan d’action pose des critères clairs pour définir l’économie sociale au niveau européen parce que « la confusion autour des différents concepts freinent la reconnaissance institutionnelle mais aussi les possibilités d’actions dans le marché intérieur ».
Le dispositif de présentation prévoyait ensuite que le commissaire et la ministre soient interpellés par 11 entrepreneurs sociaux partout en Europe. Celui de Grèce a demandé de déverrouiller les freins qui empêchaient les entreprises sociales d’être perçues comme des start-up… Représentant la France, il y avait Jeanne Brétécher, entrepreneuse sociale et fondatrice de l’association Social good Accelerator qui promeut le développement des Social Tech. Autre entrepreneur social : la Croix rouge…
L’association Duo for a Job représentait la Belgique. Elle défend farouchement les contrats à impact, porte un contrat en Belgique et vient d’en signer un en France. Son président a demandé a lever les « barrières » pour les contrats à impact : les contraintes juridiques, les coûts de mises en œuvre, des problématiques d’accès aux données… « Comment faire en sorte que ces nouveaux mécanismes de financement soient plus accessibles ? »
A la question, Olivia Grégoire répond : « Nicolas Schmit connaît ma passion pour les contrats à impact », elle souligne leur « efficacité pour engendrer de nouveau modèle » et dit que ces 18 derniers mois, 50 millions d’euros de CIS ont été signé en France. « Il faut les rependre aux quatre coins de l’Europe ».
Nicolas Schmit veut les développer dans le cadre du fonds pour l’investissement stratégique européen avec semble-t-il (quand même) un bémol : la question de la mesure de l’impact : « il faut développer une méthodologie normalisé très simple, nous avons besoin d’une méthode ».
Une entrepreneuse sociale venue d’Espagne a fragilisé la belle entente de tous ces entrepreneurs sociaux en demandant au commissaire comment éviter les fonds privés qui cherchent un intérêt spéculatif ? La question a été ignorée et est restée sans réponse…
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A suivre : La clef, le caillou dans la chaussure du groupe sos
Pour la première fois, dans son expansion sans fin, le groupe sos est tombé sur un os : le cinéma La Clef. Le collectif La clef revival occupe ce cinéma depuis deux ans et le fait vivre en proposant une programmation riche à prix libre, avec des séances qui démarrent à six heures du matin (et c’est souvent complet !). Il met également sur la table une contre-proposition à celle du groupe sos en construisant un autre modèle économique pour poursuivre cette aventure en sortant ce cinéma de la logique du marché en lien avec la foncière Antidote. Nous co-organisons avec le collectif La Clef Revival une Soirée débat : La clef, le caillou dans la chaussure du groupe SOS.