Lettre à Mme Pénicaud sur la révision des Parcours Emploi Compétences – 6 juillet 2018
écrite le 12 juin 2018 – postée le 6 juillet 2018
Madame Muriel Pénicaud, Ministre du Travail
127 rue de Grenelle 75007 Paris
Objet : Lettre ouverte sur la révision des Parcours Emploi compétences
Madame la Ministre,
Vous avez mis en place [par une circulaire du 11 janvier dernier] des Parcours Emplois Compétences, censés remplacer les contrats aidés. Vous aviez estimé que « les contrats aidés sont extrêmement coûteux pour la nation, ne sont pas efficaces dans la lutte contre le chômage et ne constituent pas un tremplin pour l’insertion professionnelle ».
Les conséquences de cette décision sont aujourd’hui qualifiées de « désastreuses » par diverses sources. Deux rapports parlementaires, du Sénat et de l’Assemblée nationale, le rapport établi par Monsieur Jean-Louis Borloo, et divers articles dans la presse soulignent que le nouveau dispositif est beaucoup trop restrictif pour être efficace. Alors que 250 000 emplois aidés ont été supprimés depuis 2016, l’objectif de 200 000 parcours emplois compétences[1] que vous avez fixé est loin d’être atteint. Selon des informations récentes[2], seuls 21 000 parcours emplois compétences auraient été mis en place au cours des 4 premiers mois de l’année 2018.
Des parcours emplois compétences trop restrictifs pour atteindre leur objectif
Cette information n’est pas totalement surprenante, car les critères que vous avez fixés, appliqués parfois avec zèle par les Préfets de région, amènent à mettre en place des contrats au rabais, rognés par tous les bouts, qui n’atteignent plus leur objectif. Les taux de prise en charge diminuent de façon drastique. En PACA, le préfet a fixé un taux de prise en charge de 35 % y compris pour les travailleurs handicapés, alors que le taux antérieur était de 80 %. La durée hebdomadaire des contrats est désormais de 20h, pour des personnes qui travaillaient parfois 26h (pour le code du travail, la durée minimum de 24 heures), d’où une faible attractivité par rapport au RSA. La durée totale des contrats est en général de 9 mois, rendant difficile la mise en place d’un parcours de formation tel qu’il est défini dans la circulaire.
Par ailleurs, les multiples conditions édictées constituent autant de barrières pour la participation au dispositif des petites et moyennes associations : les employeurs sont sélectionnés sur une batterie de critères, le tuteur doit être un salarié depuis plus de 2 ans, excluant les bénévoles d’expérience, un entretien de sortie est rendu obligatoire avant la fin du contrat. Cette complexification des procédures réserve le bénéfice des PEC à des structures importantes qui bénéficient de services d’encadrement et de gestion spécialisés. Elles sont dissuasives pour les petites ou moyennes associations, alors que nombre d’entre elles ont effectuées un important travail de formation tel que vous le souhaitez, avec des taux de sortie avoisinant 50 %. Elles assuraient aussi une insertion sociale qui doit être prise en compte au même titre que l’insertion professionnelle.
Les emplois d’avenir ont été supprimés de façon inexplicable, alors qu’il existait un large consensus sur leur intérêt et leur efficacité et que leurs objectifs correspondaient pleinement à ceux que vous avez fixés pour les PEC. Comme le rappelle la mission sénatoriale, ils avaient permis depuis 2012 à plus de 300 000 jeunes d’accéder à un emploi assorti d’une formation et d’un accompagnement.
Le cumul de ces limitations conduit à un coût budgétaire direct pour l’État qui n’est plus que de 4 500 € par an et par contrat, alors que les coûts moyens de 7 à 9 000 € pour les contrats aidés et de 11 000 € pour un emploi d’avenir étaient déjà très modiques au regard de ceux d’autres dispositifs[3]. Ces préoccupations budgétaires sont également présentes sur le terrain. Par exemple, le préfet de Nouvelle Aquitaine a enjoint le 13 mars aux associations d’atteindre en 2018 l’objectif de 11 500 contrats à signer, « sinon l’État ne s’interdira pas de diminuer le nombre de contrats en 2019 ». Nous comprenons que cela satisfasse le ministère des finances. Mais veut-on mettre en place un dispositif inapplicable pour démontrer son inutilité ?
Un réexamen en profondeur du dispositif des Contrats emploi compétences serait nécessaire pour que ceux-ci soient en accord avec les objectifs que vous avez affichés. Il serait nécessaire qu’ils soient attractifs par rapport au niveau du RSA, ce qui implique une durée d’au moins 26 heures, en cohérence avec un objectif de formation, ce qui implique une durée de 2 ans minimum, accessibles aux petites et moyennes associations, ce qui suppose la prise en compte de leur diversité.
L’exclusion de facto des seniors, et des personnes handicapés, des chômeurs de longue durée et autres personnes non éligibles
Le recentrage du dispositif sur les seules formations professionnelles débouchant sur un emploi immédiat exclut de facto les publics les plus éloignés du marché du travail, notamment les plus âgés, ceux qui sont au chômage depuis plusieurs années, une partie des demandeurs d’emploi handicapés, ce qui ne rentrent pas dans les nouveaux critères. Le suivi d’une formation a un impact réduit sur leur employabilité. Rien n’a été envisagé pour ces publics, alors que les emplois aidés, au-delà de leur objectif initial, permettaient à ces demandeurs d’emploi de retrouver une dignité, une utilité sociale, un moyen d’exercer des compétences à travers une activité. La suppression de 120 000 emplois aidés associatifs en 18 mois a entraîné une augmentation d’autant du nombre de chômeurs. Cela se traduit pour les finances publiques par des coûts supérieurs (le RSA + les cotisations sociales non perçues excèdent largement l’économie budgétaire apparente) et pèse significativement sur les chiffres du chômage[4]. Le rapport Borello reconnaît ce problème, mais n’apporte aucune solution convaincante, en proposant seulement des « prêt de main-d’œuvre » ou des « services civiques ». Le gouvernement déclare compter sur l’innovation sociale, notamment à travers les territoires zéro-chômeurs de longue durée. Ces pistes ne semblent pas répondre à la question posée[5].
Ceci rejoint la nécessité d’une réflexion d’ensemble sur le devenir des associations, dont le Premier ministre a souligné la nécessité, réflexion qui concerne tous les départements ministériels. Dans ce cadre nous lui avons demandé que le projet de loi de finances pour 2019 prévoie un fort accroissement des subventions publiques de l’État, à hauteur de 1 milliard d’euros supplémentaires, sous des formes à définir (accroissement du FDVA, création d’un fonds déconcentré pour l’emploi associatif permettant de conforter la vie associative sur les territoires comme le préconise la Mission flash de l’Assemblée nationale, etc.).
Nous souhaiterions vivement vous rencontrer pour vous faire part plus en détail de ces réflexions.
Nous vous prions de croire, Madame la Ministre, à l’assurance de notre respectueuse considération.
Jean-Claude Boual
Président du Collectif des Associations Citoyennes
[1] 136 000 une fois décomptées 30500 Contrats Éducation nationale, 22 000 contrats DOM et 3 % de réserve
[2] Le Canard Enchaîné du 6 juin 2018
[3] Le coût par emploi créé est de 250 000 € pour le CIC, 50 000 € par emploi espéré pour le plan d’investissement formation compétences.
[4] comme l’a signalé INSEE à plusieurs reprises en novembre 2017, janvier et mars 2018
[5] En effet, le mécénat de compétences concerne des entreprises prêteuses, alors que les populations concernées sont demandeuses d’emploi. Le service civique n’est pas une alternative à l’emploi ni un dispositif d’insertion professionnelle, mais vise à développer l’expérimentation de la citoyenneté et l’engagement, comme le précise la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté. Le dispositif « zéro chômeurs » ne permet pour l’instant de prendre en charge qu’une infime partie des chômeurs de longue durée : 480 au 31 décembre 2017.
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Agrément Jeunesse et éducation populaire le 6 juillet 2015